3) Les dévotions « traditionnelles »

a) Saint Jean-Baptiste et le Baptême du Christ

Saint Jean-Baptiste est représenté huit fois avec Jésus, pour illustrer le Baptême du Christ, systématiquement dans des baptistères ; excepté l’œuvre de Jean-Marie Bonnassieux, sur la place devant la primatiale Saint-Jean-Baptiste (cat. 906). Hormis cette scène de baptême, ce saint est figuré huit autres fois, parmi lesquels trois exemplaires sont aussi associés à un baptistère.

Trois Baptême du Christ sont sur le même modèle que l’œuvre de Jean-Marie Bonnassieux, elle-même respectant un schéma traditionnel557, à la ressemblance de la peinture du Baptême du Christ de Piero della Francesca (vers 1450). C’est-à-dire que les deux hommes sont l’un à côté de l’autre, Jean-Baptiste vêtu d’une peau de bête lève le bras droit pour verser de l’eau sur la tête de Jésus à l’aide d’un coquillage – élément typique de l’art italien – ; celui-ci ceinturé d’un pagne, incline sa tête, ferme les yeux et croise ses mains sur la poitrine en geste d’approbation. Cette sculpture de Bonnassieux datant de 1844, est juste dans ses proportions, équilibrée, les visages sont travaillés avec soin, l’attitude du Christ est appropriée, et l’artiste semble avoir joué des possibilités du bronze pour représenter sa chevelure mouillée, le visage de Jean-Baptiste évoque la sculpture antique grecque : c’est un chef-d’œuvre. Il est vraisemblable que les manufactures ou de très modestes sculpteurs – ceux à la limite du statut de praticiens – se soient inspirés de cette œuvre pour les statuettes en rondes-bosses au-dessus des baptistères des églises Saint-Eucher (cat. 568) et Sainte-Blandine (cat. 839) et pour le relief du retable du baptistère de l’église Saint-André (cat. 441), tout en rallongeant pudiquement le pagne du Seigneur. Notons qu’à Saint-André le traitement des visages et des chevelures, lisse, adouci et gracieux, est caractéristique : rappelant la délicatesse typique de certaines œuvres des maîtres lyonnais de la sculpture religieuse au dernier quart du XIXe siècle558.

À l’église Notre-Dame Saint-Vincent (cat. 423), la sculpture de Charles Dufraine reprend à peu près le même schéma, traditionnel. Cette fois, le Christ a les mains croisées au niveau du ventre ; toujours vêtu d’un petit pagne, mais il tient un grand vêtement sur son bras gauche, qui retombe le long de son corps, le dissimule pudiquement et offrant un jeu de drapés. Son attitude traduit la dignité en même temps que l'humilité et la douceur. Saint Jean-Baptiste, vêtu d'une tunique en peau de bête, est un peu plus petit ce qui le fait lever les yeux vers Jésus, tout en inclinant la tête sur le côté, attitude qui exprime son admiration et sa déférence (Mt 3, 13-15). Cette expression légitime du Baptiste est rare, il est plus fréquemment représenté comme un homme rude et grave. Il pose un pied sur une pierre dans un mouvement pour s'approcher du Christ. Son bras droit est levé au-dessus de la tête du Christ, afin de verser l'eau contenue dans un coquillage, l'autre bras reste en suspend ; tout comme l’œuvre de Bonnassieux.

Les églises de l’Hôtel-Dieu (cat. 227) et de Saint-Bonaventure (cat. 496) possèdent une autre variante dans la composition du Baptême : le Christ est agenouillé559 toujours les mains croisées sur la poitrine et vu de profil, tandis que Jean-Baptiste est pleinement de face, versant également l’eau d’un coquillage qu’il tient de la main gauche ; cependant, son bras gauche un peu replié reste en suspend, il a probablement perdu son bâton crucifère. Les groupes sont de teinte brune évoquant le bronze. Ces deux versions560 sont presque similaires : à l’Hôtel-Dieu, Jésus est plus penché ; à Saint-Bonaventure, la peau de bête du Précurseur est plus pendante et laisse voir son buste ; les têtes ne sont pas identiques et surtout les chevelures, celles de l’Hôtel-Dieu font des boucles bien formées et très régulières.

À l’église Saint-Denis (cat. 245), un relief de bronze doré orne le retable du baptistère. Il date probablement du XVIIIe siècle, son esprit est baroque : Le Christ se jette aux pieds de Jean-Baptiste tout en croisant les bras ; en se contorsionnant, le Baptiste lui verse de l’eau sur la tête ; drapés, végétation, rochers, nuées et anges semblent virevolter autour ; au sommet Dieu le Père et l’Esprit Saint surgissent.

Les huit autres statues ou statuettes figurent Saint Jean-Baptiste seul561. Même si l’œuvre de Barthélemy Blaise à la primatiale Saint-Jean (cat. 909) est largement en dehors de notre période d’étude – ce marbre date de 1780 –, il est important de la mentionner car les sculpteurs du XIXe ont certainement apprécié son exemple562. En appui sur sa jambe gauche, il lève le bras droit, tourne un peu la tête sur la gauche et ouvre la bouche, attitude de prêche ou de prophétie. La peau de bête qui l’enveloppe est épaisse et immense mais dégage tout son torse, son bras gauche replié en retient un morceau tout en gardant contre lui son bâton crucifère. Un jeune mouton est couché sur la droite. Cette posture et ces attributs sont traditionnels dans l’iconographie du Précurseur. Aussi, quatre autres représentations lyonnaises reprennent cette attitude.

La petite statuette en fonte sur le couvercle de la cuve baptismale dans l’église Saint-Joseph (cat. 642) est très proche de cet exemple. La tunique en peau de bête est mieux ajustée et un manteau en draperie est retenu sur son épaule et son bras gauche. Le geste de sa main droite n’est pas très distinct : ce pourrait être une bénédiction, mais aussi un geste repris d’une statue où Jean-Baptiste verse de l’eau sur le Christ. Il ne possède pas de bâton et le mouton s’est intercalé entre sa jambe gauche et le manteau qui glisse de son épaule gauche jusqu’au sol – sans doute une astuce pour consolider la base.

La statue de l’église Saint-Denis (cat. 550) est caractéristique de la sculpture industrielle régionale : raide, un peu maladroite et surtout inexpressive. Cette fois, la tunique de saint Jean-Baptiste l’enveloppe totalement, il tient un bâton et le mouton est couché sur la droite.

À l’église de la Rédemption (cat. 244), l’œuvre insérée dans un retable est probablement tardive ; car elle est surprenante par sa simplicité. La pose est élémentaire, Jean-Baptiste se tient sur sa jambe gauche, la droite un peu en arrière, son bras droit est tendu et montre le ciel, de sa gauche il garde son bâton. Le modelé est très estompé, que ce soit pour le corps ou la tunique ; de même le mouvement est comme figé, suggéré. Les proportions sont allongées. Tout en surprenant par son parti pris pour l’ingénuité, l’ensemble de ces particularités confère à cette statue, assez grande, un certain monumentalisme.

À l’église Saint-François-de-Sales (cat. 589), la variation est radicale. Il s’agit d’une œuvre de Dubois563, dans laquelle Jean-Baptiste est représenté tout jeune, presque dénudé, dans un déhanchement prononcé, l’air révolté, la bouche grande ouverte et la chevelure emportée sur la gauche. Son air d’admonestation et sa pose éloquente de prédicateur illustre l’inscription « Joan. in deserto baptisans baptismim poenitentiae in remissionem peccatorum ».

Trois autres œuvres font adopter au saint des positions différentes. La statue sur le clocher nord de l’église Saint-Nizier (cat. 730) a une attitude à la fois représentative et originale du Précurseur. Guillaume Bonnet, en 1855, le sculpta vêtu d’une tunique, en contrapposto, le bras droit plié contre le ventre, désignant nonchalamment le ciel du gauche à demi plié et le coude collé contre la hanche, tournant la tête sur sa droite ; sa chevelure et sa barbe sont denses, le nez fin, à l’image de la statuaire grecque.

La statue de Saint Jean-Baptiste (cat. 300) actuellement placée près des fonts baptismaux au Saint-Nom-de-Jésus, provient de la chaire démontée qu’avait réalisée Fabisch en 1876564. Aussi s’agit-il d’une œuvre très sobre : le saint est revêtu d’une tunique en peau de bête, bien ajustée, avec un manteau par-dessus son épaule droite, il tient son bâton coincé entre son corps et son bras gauche, sur lequel est enroulé un phylactère qu’il désigne de la droite. Il ne possède aucune expression. Était-ce voulu, afin de donner un caractère plus imposant à ces statues de taille modeste ?

Enfin, autour de la base octogonale des fonts baptismaux de l’église Saint-Martin d’Ainay (cat. 679), des statuettes de personnages assis s’alternent avec les panneaux gravés d’inscriptions. Avec le Christ, la Vierge, et un saint évêque, figure Jean-Baptiste, habillé d’une longue tunique en peau et d’un manteau sur les épaules. Des bras repliés sur la poitrine, il tient la coquille pour verser l’eau du baptême et un phylactère ; ses cheveux flottent librement vers l’arrière ; sans être traité avec beaucoup de soin, son visage est pourtant celui d’un homme mature, à la fois vigoureux et bon, très humain.

Enfin, puisque la primatiale de Lyon est placée sous le vocable de saint Jean-Baptiste, la chaire archiépiscopale, en bois finement ouvragé dans un style néogothique, lui consacre un cycle, avec notamment : La Décollation (Mt 14, 1-12 ; Mc 6, 17-29), Zacharie et Élisabeth présentant Jean [Baptiste] au prêtre (Lc 1, 59-79), Le Précurseur montrant à ses disciples l’Agneau de Dieu (Jn 1, 29-30 et 35-37), Le Baptême du Christ – deux autres scènes passent derrière de dossier du siège.

Notes
557.

Andrea Pisano, bas-relief, 1330, bronze, porte du Baptistère , Florence. XIVe siècle : tympan, porte du cloître, cathédrale de Burgos.

558.

Cf. Retable du Sacré-Cœur, par J.-M. Bonnassieux, 1889, église Saint-Nizier ; Profil du Christ, médaille, plâtre, par P.-E. Millefaut (Photo. anc., archives familiales Millefaut) ; Baptême du Christ, par Ch. Dufraine, 1882, église de Notre-Dame Saint-Vincent.

559.

La première représentation du Christ agenouillé pour recevoir le baptême, dans un geste d’humilité, est due à Taddeo Gaddi, musée de l’Académie, Florence. Girolamo Viscardo, bas-relief en marbre, 1508, autel Saint-Sauveur, Trinité de Fécamp. Jean-Baptiste Tuby, 1680, église de Sceaux. XVIIIe : Jean-Baptiste Lemoyne, groupe marbre, église Saint-Roch, Paris. XIXe siècle : Rude, église de la Madeleine, Paris.

560.

Voir aussi à Saint-Vallier dans la Drôme (base Palissy).

561.

VIe siècle : Bas-relief en ivoire de la Chaire de Maximilien, Ravenne. XIIe siècle : statue du trumeau du portail central du narthex de Vézelay ; statue de la porte Saint-Gall, cathédrale de Bâle. XIIIe siècle : statue en pierre, porte du croisillon nord du transept, cathédrale de Chartres ; Nicolas Pisano, Chaire du baptistère de Pise ; statue, cathédrale de Lausanne ; etc. Donatello, marbre, vers 1430, museo nazionale, bronze, 1457, cathédrale de Sienne ; Ghilberti, statue, bronze, chapelle d’Or, San Michele, Florence ; XVIIIe siècle : Houdon, galerie Borghèse ; XIXe siècle : J. de Say, , marbre, salon de 1842, exposition universelle de 1855 ; V. Dubray, prêchent, plâtre, salon de 1842 ; C. C. Fontenelle, plâtre, salon de 1843 ; L. Desprez, restauration portail, Saint-Nicolas-des-Champs, Paris ; A. Bosio, maître-autel, église Saint-Vincent-de-Paul, Paris ; V. Dubray, salon de 1847 ; C. Cordier, salon de 1855, tour Saint-Jacques, Paris ; A. Perey, salon de 1858, Saint-Jean-Baptiste de Belleville ; A. Fourdin, salon de 1858, église de Neuilly ; J. Ramus, 1861, Saint-Étienne-du-Mont, Paris ; V. Vilain, 1862, Saint-Laurent, Paris ; G. Crauck, salon de 1863, marbre, Saint-Sacrement, Paris ; A. Fromanger, façade ouest, portail central, Notre-Dame de Paris ; A. Millet, salon de 1872, chapelle de Lourdes ; L. Auvray, Notre Dame de Valenciennes (Nord) ; J. Bézard, 1876, Saint-Augustin, Paris ; J.-B. Clésinger, 1877 ; J. Perrin, plâtre, salon de 1880 ; L. Desprez, prêchant ; J. de Say, cathédrale de Nantes ; Rodin, bronze, musée Rodin de Paris et musée des Beaux-arts de Lyon.

562.

classé au titre objet le 1903/10/21 ; base Palissy, réf. PM69000244.

563.

Par Dubois, avant 1900. Cf. Bronze, présenté au salon de 1861, musée d’Orsay.

564.

Voir aussi les statues maintenant dans le porche, des prophètes : Jérémie, Daniel, Isaïe, Ézéchiel (cat. 299 et 301) ; ou les statues disparues de Saint François Ferrier, Saint Thomas d'Aquin, Saint Dominique , Saint Pierre de Vérone, Saint Louis-Bertrand.