Les auteurs des Évangiles : Matthieu, Marc, Luc et Jean, sont souvent représentés ensemble, ceci dès l’art paléochrétien où ils se regroupent autour du Christ. Vers le Ve siècle, les Pères de l’Église (en particulier saint Irénée et saint Jérôme) firent correspondre les êtres de la vision d’Ezéchiel (Ez 1, 1-28) et de l’Apocalypse (Ap 4, 1-11) avec les Évangélistes. Ainsi, dans les arts, ils se distinguent les uns des autres par les symboles des « quatre vivants », respectivement l’ange, le lion, le taureau et l’aigle. Les Évangélistes sont fréquemment représentés avec leurs écrits, voire même en plein travail à leur pupitre, ou encore en orateur, ou pensifs. Parfois, leur « attribut » se substitue totalement à eux, on appelle alors ceci le Tétramorphe : largement employé à la basilique Notre-Dame de Fourvière par les architectes Pierre Bossan et Sainte-Marie Perrin qui l’appréciaient.
En considérant toute l’époque moderne, les quatre Évangélistes sont sculptés sept fois ensemble à Lyon – sans compter la basilique de Fourvière. Les exemples lyonnais sont dans des environnements à la fois diversifiés et récurrents, donnant ainsi un aperçu représentatif des différents emplois de ce thème.
À Lyon, les premières de ces figurations modernes sont probablement les reliefs sur les trompes de la coupole de l’église Saint-Bruno-des-Chartreux (cat. 515). Ils y sont représentés par Gaspard Régnier au XVIIIe siècle, dans des attitudes baroques, à la fois variant les poses, mais toujours à leur travail d’écriture et accompagnés de leurs symboles animaliers565. Les trompes sont un emplacement ordinaire pour ce sujet566.
Sur la façade de l’église Notre-Dame Saint-Louis, les Évangélistes – datant du milieu du XIXe siècle – ornent quatre niches. Ils figurent tous debout, tenant leurs Évangiles, drapés à l’Antique ; il serait impossible de les distinguer les uns des autres si leur nom respectif n’était pas écrit sur chaque socle. Ces statues sont massives, faites pour être lisibles de plus loin que ne le seraient des statues d’intérieur. Toutefois, celles placées en haut, de Luc et de Marc, sont particulièrement rustres dans leur silhouette ; ajoutons que les niches semblent beaucoup plus basses et en conséquence les saints personnages semblent faits dans des proportions très trapues – sans pouvoir déterminer dans quelle mesure ce peut être un effet d’optique.
Dans la chapelle du Sacré-Cœur de l’église Saint-Bonaventure (cat. 511), les Évangélistes sont installés dans des niches aux quatre angles. Chacun est représenté avec son symbole animalier aux pieds, sauf saint Luc ; Matthieu tient un rouleau contre sa poitrine et lève son autre main, Marc sert contre lui un livre, Luc tient un rouleau sur le côté et porte son autre main au menton dans un geste pensif, Jean tient un stylet et une tablette, prêt à écrire. Tous sont très drapés, mais avec des variantes. Ces statues ne sont pas toutes dans le même état de conservation.
Les quatre Évangélistes – ainsi qu’un cinquième personnage –, sont placés aux angles de la cuve de la chaire de l’église Saint-Georges (cat. 595). Ces statuettes sont juchées sur des culots ornés de leurs symboles animaliers, qui permettent de facilement les reconnaître. Leur apparence est sommaire et sans recherche. Matthieu et Marc, cheveux longs avec un début de calvitie, ne se distingueraient pas sans ces animaux ; Luc a plus de cheveux ; tous trois tiennent un livre de la main droite, variant légèrement les poses et les drapés, mais rien ne les spécifie. Seul saint Jean se distingue par sa jeunesse et par le ciboire qu’il tient. Il s’agit uniquement de statuettes décoratives, complétant très discrètement le mobilier architectural.
Enfin, les Évangélistes sont présents de manière comparable sur le devant de l’autel du Sacré-Cœur à la primatiale Saint-Jean (cat. 890), sur le maître-autel de l’église Saint-Pierre de Vaise (cat. 775) et sur l’ancien maître-autel de Notre-Dame de Bellecombe (actuellement dans une chapelle latérale à l’église Notre-Dame de Saint-Alban ; cat. 396).
À la primatiale, Legendre-Héral représenta en 1837 les Évangélistes de chaque côté du Christ sur le devant de l’autel du Sacré-Cœur, dans cinq niches en cul-de-four formant des arcades rythmées par de petits pilastres : un dispositif très usuel et des figures très classiques. Jean est bien identifiable, imberbe et chevelure longue, Matthieu et Marc sont certainement les deux figures barbues aux fronts dégarnis.
À Saint-Pierre de Vaise sur le devant du maître-autel, les Évangélistes sont debout dans des arcades encadrant un quartefeuille dans lequel le Christ trône (voir p. 204). Vêtus de manière identique, seuls les drapés varient, chacun porte son Évangile. Le sculpteur les distingue par leur coiffure et leur barbe ; excepté pour saint Jean – jeune, imberbe et cheveux longs – nous ne pouvons que proposer des interprétations : tout à gauche à côté de saint Jean, peut-être saint Matthieu, plus âgé, avec une barbe plus longue et stylet en main (pour écrire sous la dicté de l’Ange) ; Luc et Marc, barbe et cheveux plus courts, seraient à gauche du Christ ; Luc, serait celui tout à gauche, vu bien de face, paisible ; Marc serait les cheveux en arrière, le visage tourné, une main sur la poitrine.
Le dispositif de l’autel à Notre-Dame Saint-Alban est un peu plus complexe. Le centre du devant est occupé par la Cène d’Emmaüs, et sous des arcades brisées de chaque côté se trouvent Jean et Luc. L’autel opère des décrochements en retrait sur les deux extrémités : sur le devant de ces ailes se situent Marc et Matthieu – tandis que sur les flancs de l’autel, dans les renfoncements latéraux, des anges occupent ces mêmes arcades brisées. Malgré tous les écueils que pouvaient rencontrer les artistes pour ce genre de composition, dans leur collaboration567, le sculpteur J. Chenevay et l’architecte P. Duret surent varier les attitudes et les expressions. Tout à gauche, saint Marc est un homme mûr, l’air digne, le front un peu soucieux ; saint Jean est un jeune homme au cheveux longs, gracieux et qui semble un peu ailleurs ; saint Luc, dégarni et barbu, a porté la main sur son menton dans une attitude songeuse et interrogative ; la figure de saint Matthieu est admirable, c’est un homme relativement âgé, barbu, le front haut et ridé sur lequel reviennent quelques mèches, l’air très noble et doux, il se penche pour lire l’ouvrage que tient devant lui, à bout de bras, un putto aux toutes petites ailes, son attitude exprime à la fois la dignité et l’humilité, toute la noblesse d’une humanité accomplie. Les quatre hommes figurent chacun avec leur animal symbolique, dans des poses souples et assez naturelles.
Le Tétramorphe est présent trois fois en reliefs à la basilique de Fourvière : dans les écoinçons des grandes arcades en façade (cat.83), où les animaux sont vus individuellement et en entier ; sur les quatre portes à l’intérieur de la basilique, la tête de taureau (cat. 90) et celle de lion (cat. 89) situées au-dessus des deux portes menant au vestibule Saint-Joseph, sont encadrées d’une paire d’ailes, alors que l’ange (cat. 92) et l’aigle (cat. 91) sont figurés en entier avec trois paires d’ailes à la manière des séraphins, au-dessus des portes des sacristies ; dans le vestibule Saint-Joseph (p. 97) sur le tympan au-dessus de la « Porte de la Sagesse », tous les quatre sont amalgamés avec la tête d’ange au centre, encadré de la tête du lion et du taureau vus de trois quarts, surmontés de l’aigle à demi masqué qui se déploie, l’ensemble est encadré de quatre ailes de chérubins – deux déployées sur les côtes, deux repliées en-dessous.
Sur le tympan de l’église Saint-Martin d’Ainay réalisé en 1860 par J.-H. Fabisch, le Tétramorphe encadre le Christ Pantocrator (voir pp. 203-204) à la manière des tympans des églises romanes. Les animaux sont vus en entiers, posant la patte sur leur Évangile pour le lion et le taureau en bas, et le tenant dans les bras ou les serres pour Matthieu et Jean au-dessus ; ces figures sont un peu stylisées de manière à rappeler l’art roman.
Le même schéma avait été employé pour le tympan de l’église Saint-Pierre de Vaise (cat. 768) sculpté par Guillaume Bonnet vers 1853, avec en plus deux grands anges passant devant les quatre vivants pour tenir la mandorle. Cependant, ils ne tiennent pas leurs Évangiles, et la stylisation est différente, plus ronde.
Cf. XIIe siècle, tympan portail nord, abbatiale de Saint-Benoît-sur-Loire.
Voir plus tardivement à Lyon : l’église Saint-Denis, l’église Saint-François-de-Sales, l’église Saint-Eucher.
Entre 1893 et 1899, autel en 1894. Lyon, Archives diocésaines, Notre-Dame de Bellecombe : I 1152 et I 1153.