La représentation des anges posait problème aux clercs qui se demandaient comment figurer ces créatures entièrement spirituelles. Mais, les peintres et les sculpteurs ne connaissaient pas ces réserves. Aussi, ils les illustrèrent abondamment, avec une spontanéité identique à l’affection que leur portait la piété populaire.
Les figures d’anges sont des plus omniprésentes576 dans les églises. Dans celles de Lyon, environ une soixantaine d’exemplaires se rencontrent577 sous plusieurs formes : Les Archanges578 et les anges gardiens579 représentés de manière autonome ; puis toutes sortes d’anges décoratifs580, insérés dans l’architecture ou les éléments mobiliers. Distinguons parmi eux les anges musiciens581, les anges en prière et en adoration582, et les anges porteurs (instruments de la Passions, livre saint, couronnes, palmes, etc.)583. Isolons aussi les anges allégoriques de la basilique de Fourvière (cat. 157), avec à l’extérieur : L’Ange du silence (cat. 161), L’Ange de la Force, L’Ange de la Paix ; à l’intérieur dans la crypte : les Anges des Béatitudes (cat. 167).
Il est impossible de tous les détailler mais indispensable d’en présenter quelques modèles. À propos des dévotions, les deux statues d’Anges gardiens sont les plus explicites. Pour ces deux modèles l’Ange est debout, montre le ciel à un petit enfant à droite. Celui de Saint-Eucher (cat. 571) est largement drapé dans une chlamyde, porte une couronne et montre le ciel en levant bien le bras ; l’enfant en tunique courte le regarde, les mains jointes en adoration. Son apparence est néoclassique. Celui de l’église Saint-Bernard (cat. 467) lève moins le bras et est vêtu d’une tunique et d’une cape un peu courte, l’enfant porte une tunique longue, le regarde, les bras croisés sur la poitrine. Cette statue évoque très discrètement les anges gothiques : par sa chevelure, son visage fin, le drapé. Les styles de ces deux statues – qui semblent pourtant des œuvres stéréotypées de manufactures – sont ainsi en accord avec celui de l’architecture qui les abrite.
Dans cette même chapelle à l’église Saint-Bernard, le devant d’autel (cat. 467) figure les trois Archanges dans des quatrefeuilles. À gauche, Gabriel reconnaissable au lys et au rouleau qu’il tient, en référence à l’épisode de l’Annonciation à la Vierge Marie ; au centre, Michel brandit une épée et terrasse le dragon ; à droite Raphaël tient le poisson, en rappel à son passage chez Tobie. Cependant, ce relief est sans qualité artistique.
À la basilique Notre-Dame de Fourvière – qu’on pourrait surnommer basilique des anges tant ils y sont nombreux, à l’image d’une cour céleste entourant Marie, Reine du ciel – Saint Michel (cat. 153) tient une place centrale. Son nom signifie en hébreu "Qui est comme Dieu ?". Les architectes Pierre Bossan et Sainte-Marie Perrin, concepteurs et exécuteur – pour le second uniquement – du projet, le voyaient comme le chef de cette cohorte et son image devait donc dominer celle de tous les autres anges. L'iconographie du XIXe siècle, surtout dans la deuxième moitié, en a fait l'archétype du Bien combattant le Mal, puis elle prit bientôt une connotation politique : Les milieux légitimistes n'ont pas oubliés que Louis XI a fondé un ordre royal portant son nom, qui perdura jusqu'en 1830, et en 1870, certains chevaliers étaient encore vivants. Selon Lucien Brun, le comte de Chambord aurait même envisagé de souscrire pour cette statue de Saint Michel 584. Paul-Émile Millefaut le représente très simplement et lisiblement, pour être reconnu de loin. Debout les ailes déployées, marchant sur le démon, il lève des deux mains la lance, la pointe vers le bas, s’apprêtant à lui donner le coup mortel ; il est vêtu d’une tunique courte et d’une cuirasse légère à la manière d’un centurion romain. Même si ce grand bronze est fait pour être vu de loin, le sculpteur a soigné l’expression du visage, à la fois concentré, implacable et beau.
Parmi les anges de Fourvière, La Sagesse (cat. 150) est une figure exceptionnelle : l’architecte Sainte-Marie Perrin, qui achève la basilique, et le sculpteur Charles Dufraine représentent symboliquement ce don de l'Esprit, qui est aussi une des vertus mariales, comme les anges de l'Apocalypse ou les chérubins c’est-à-dire avec quatre ailes. Son attitude traduit la manière dont la Sagesse est présentée au chapitre sept du Livre de la Sagesse 585 : elle est pure, rayonnante de gloire, image de bonté, lumineuse et belle sans comparaison, puissante, vigoureuse et douce. La main droite levée et le bras gauche un peu écarté, elle semble vouloir indiquer au visiteur « Écoutez, j'ai à vous dire des choses sincères / Moi, la Sagesse, je possède le savoir-faire »586. Il lui a été reproché la particularité de son mouvement, posée de manière instable. Elle semble effectivement à la fois assise avec calme, mais aussi reposer provisoirement, prête à s'envoler, dans une grande légèreté. C’est là encore une transposition plastique de l'esprit de la Sagesse, qui est « subtil et rapide ; pénétrant, net, clair et intact ; ami du bien, vif, irrésistible » et qui « peut se mouvoir d'un mouvement qui surpasse tous les autres » (Sg 7, 22-24). Enfin, le sculpteur a su traiter le marbre avec beaucoup de délicatesse, sans tomber dans la sensualité.
Les anges au-dessus des chapelles latérales dans la basilique sont tous spécifiques. Il est possible de les estimer aussi contrefaits et froids que les autres figures d’anges lyonnaises ; cependant en considérant les enjeux de ces œuvres et la manière dont s’en sort le sculpteur face aux exigences de l’architecte, ce sont des œuvres remarquables. En fonction du thème de dévotion de chaque chapelle, l’attitude de ces anges change pour en suivre l’idée ; toutefois le sculpteur ne devait ni déborder du cadre qui lui est confié, ni détonner, ni troubler l’harmonie de l’ensemble. Paul-Émile Millefaut a su varier, rester sensible sans jurer, tout en faisant des œuvres fines et belles.
La composition des Anges musiciens (cat. 415) de Charles Dufraine en 1882 pour la façade de l’église Notre-Dame Saint-Vincent, se particularise par sa conception adaptée et son sujet plus précis. La frise est en deux parties, et les anges sont tournés vers la Vierge au centre dans la niche. Dans les deux reliefs, un orgue et deux anges assis face à l'instrument se placent en premier, derrière eux viennent des anges jouant debout de la mandorle, de la viole, de la clarinette, enfin sur les parties excentrées des anges chantent en tenant des partitions. Lucien Bégule, constate qu'on pourrait peut-être reprocher certaines rudesses d'exécution à ces deux compositions, mais elles sont "voulues" et ont leur raison d'être : la hauteur où elles se situent nécessite une certaine simplicité pour facilité leur lecture. Ces petits attroupements d’anges citent l’art de la Renaissance ; c’est un thème charmant mais qui ne semble plus avoir grand chose de dévotionnel, du moins dans cette représentation. Toutefois, la référence à la Renaissance est adaptée à l’architecture de l’église.
La plupart des anges adorateurs ou porteurs sont agréables à l’œil ; mais dépourvus de caractère, leur douceur et leur calme finissent par les rendre très ternes et monotones. Les angelots joufflus sont pratiquement absents, excepté dans l’église baroque de Saint-Bruno-des-Chartreux (cat. 521 et 522) afin de les adapter au goût de l’édifice. De même, le motif de tête d’ange, abondant à la basilique de Fourvière, n’est pas si présent dans les autres églises ; quelques exemplaires se dispersent : sur la façade de Notre-Dame de Bellecombe, sur la chaire de Saint-François-de-Sales (cat. 582), sur l’extérieur de l’église du Sacré-Cœur, et l’autel de Saint-Jean-Marie-Vianney à Notre-Dame Saint-Vincent (cat. 419).
Au tout début du XXe siècle, les Anges adorateurs (cat. 322) de Jean Larrivé à la croisée du transept de l’église du Saint-Sacrement cherchent nettement une alternative : par leur coiffure moderne, par leur visage particulier pour certains, par leur pose qui suggère la vie, et leur légère stylisation, le sculpteur tente à la fois de demeurer dans la tradition et le respect du thème, tout en tonifiant l’iconographie et en la rendant plus vivante pour les fidèles.
Notre-Dame de Bon-Secours, Notre-Dame Saint-Louis, Saint-Augustin, de Saint-Denis, Saint-Pothin, Saint-Camille, Saint-Irénée, Saint-Polycarpe, la primatiale Saint-Jean – soit huit églises sur trente-neuf – n’en possèdent actuellement pas.
Certaines églises en possèdent dans des scènes : à Saint-Pierre de Vaise, sur le tympan pour tenir la mandorle du Christ (cat. 768) ; à Saint-André de la Guillotière, sur l’autel de la Vierge (cat. 439) pour la porter dans son Assomption ; à l’Immaculée Conception, sur l’autel dans l’Annonciation, avec aussi une tête d’angelot parmi le décor sculpté inachevé ; à Notre-Dame de l’Assomption la console de la statue du Curé d’Ars est une tête d’ange (cat. 367) ; à Saint-Martin d’Ainay un évangéliste écrit sous l'ordonnance d’un ange (cat. 670).
Tous trois sur le devant d’autel de la chapelle des Anges à l’église Saint-Bernard (cat. 467) ; Saint Michel sur le toît de l’abside de la basilique de Fourvière.
À l’église Saint-Eucher (cat. 571) et à celle de Saint-Bernard.
Corniche extérieur de l’église du Sacré-Cœur ; consoles en façade de l’église de Notre-Dame de Bellecombe (cat. 336) ; autel du Curé d’Ars à l’église de Notre-Dame Saint-Vincent (cat. 419) ; cuve de la chaire de l’église Saint-François-de-Sales (cat. 582).
Relief sur la façade de l’église de Notre-Dame Saint-Vincent (cat. 415) ; consoles de la porte principale de l’église Sainte-Blandine (cat. 828) ; autel du Rosaire à l’église du Saint-Nom-de-Jésus (cat. 304) ; retable de la Trinité à l’église Saint-Nizier (cat. 711).
Croisée du transept à l’église du Saint-Sacrement (cat. 322), anges à la croix de l’escalier au bas du vestibule Saint-Joseph à la basilique de Fourvière ; autel de la chapelle du Sacré-Cœur et baldaquin du choeur à l’église Saint-Bruno (cat. 521 et 522) ; autel du Sacré-Cœur à l’église Saint-Just (cat. 660) ; consoles de colonnettes à l’église du Sacré-Cœur, tympan de l’église de Notre-Dame Saint-Vincent (cat. 416) ; autel du Sacré-Cœur et pinacle de la façade à l’église Saint-Georges (cat. 598) ; relief au somment du retable autel de la chapelle du Sacré-Cœur à l’église de l’Hôtel-Dieu ; retable de la chapelle du Sacré-Cœur à l’église Saint-Bonaventure (cat. 510) ; chœur de l’église de la Rédemption
Chapelle des Anges gardiens à l’église Saint-Nizier (cat. 723) ; console de la tribune d’orgue à l’église de la Rédemption ; autel à Notre-Dame Saint-Alban (cat. 396) ; croisée du transept à l’église Saint-Bruno (cat. 521 et 522) ; monument au cœur du curé J.-M. Servant à l’église Saint-Georges (cat. 611° ; chœur de l’église du Saint-Sacrement (cat. 320) ; chapelle de la Vierge à l’église Sainte-Croix (cat. 855) ; anges-cariatides et anges porteurs des symboles des litanies (cat. 163 et 164) de la basilique de Fourvière.
Bernard Berthod, Architecture et symboles, 1896-1996, Fourvière a cent ans, Lyon, Musée de Fourvière, 1996, p.85.
chapitre 7 versets 24-26, 29-30 et chapitre 8, versets 1 et 3. Voir l'inscription au-dessus de la statue.
Comme le commente l’inscription : « Audite quoniam de rebus magnis locutura sum / Ego sapientia habito in consilio » (Livre des Proverbes 8, 6 et 12 : Écoutez, car j'ai de grandes choses à dire, Et mes lèvres s'ouvrent pour enseigner ce qui est droit. / Moi, la sagesse, j'ai pour demeure le discernement, Et je possède la science de la réflexion.)