h) Patriarches, Prophètes et Prêtres de l’Ancienne Alliance

Les patriarches – Abraham, Isaac, Jacob, Loth – et les prophètes – Élie, Ézéchiel, Isaïe, Jérémie – ne sont jamais figurés seuls ni de manière indépendante dans la sculpture religieuse du XIXe siècle. Les pères et envoyés de l’Ancien Testament se regroupent et sont ainsi présents cinq fois dans les églises de Lyon.

Le maître autel de l’église Saint-Martin d’Ainay (cat. 680), en cuivre doré repoussé et incrusté, réalisé par Poussielgue-Rusand sur dessin de Questel entre 1854 et 1855, figure sous cinq arcades en plein cintre le Christ trônant et quatre patriarches et prêtres debout : Aaron, Abel, Abraham et Melchisédech. Cette facture est inspirée par le maître-autel de Bâle, actuellement au musée de Cluny. Aaron est le frère aîné de Moïse et grand prêtre de Dieu pour assister son cadet auprès du peuple hébreu. Il est coiffé d’une tiare, porte un bâton qui rappelle la manifestation de son élection par Dieu lors du miracle du bâton fleuri et ceux auxquels il procède avec ultérieurement, sa poitrine est ornée du rational587. Le jeune Abel tient dans ses bras un agneau car il « offrit des premiers nés de son troupeau, et même de leur graisse. Or Yahvé agréa Abel pour son offrande » (Gn 4, 4). Abraham, plus âgé et barbu, tient un petit bélier et un couteau, en référence à l’épreuve du sacrifice d’Isaac qu’il s’apprêtait à consentir avec une absolue confiance en Dieu. Enfin, Melchisédech, roi et grand prêtre à Jérusalem, est vêtu comme un roi franc ; il tient un calice et un pain (Gn 14, 18) qu’il offrit à Yahvé quand il rencontra Abraham.

Tous sont donc liés au sacerdoce, au service du culte de Dieu ; ce rôle de « sacrificateurs » et d’intercesseurs entre Dieu et le peuple, sont les raisons de leur présence sur l’autel où est rendu le « sacrifice qui plait à Dieu ».

Dans le même esprit et sur le même thème, l'ancien maître-autel588 de l’église de la Rédemption (cat. 250), fait par Fabisch en 1877, était un modèle qui insérait dans des baies géminées à arcs trilobés surmontées d'un quadrilobe, en parfaite harmonie avec l'architecture de cette église néogothique, le Christ entouré des "sacrificateurs" de l'Ancien Testament, Abel, Melchisédech, Abraham et Aaron, tous assis. Le Christ porte une hostie de la main droite et la Croix (qui a perdu sa barre horizontale) à sa gauche. Abel, le seul imberbe, tient toujours l’agneau, Melchisédech le calice et deux pains ronds, Abraham ne possède plus qu’un grand couteau, et Aaron toujours caractérisé par sa coiffe et son rational garde ici un encensoir.

Dans la même église de la Rédemption, la chaire (cat. 242) réalisée par J.-H. Fabisch en 1878 a été démontée, il ne reste plus que le pilier exposé dans le chœur. Ce pilier est entouré de quatre saints personnages de l'Ancien Testament : Moïse, Aaron, David et Abraham – alors que sur la cuve figuraient quatre docteurs de l'église589. Moïse, deux petites flammes sortant de son front590, une barbe longue, enveloppé dans un manteau, tient les tables de lois. Aaron habillé en prêtre avec une coiffe, le rational et une ceinture particulière591, fait un geste du bras et semble vouloir éviter quelque chose, tout en tenant de la main gauche un volumen étroitement roulé. Abraham est enveloppé dans un manteau qui lui couvre la tête, son nez est busqué ; de sa main gauche il garde une pince et maintient un pan du manteau, sa main droite un peu levée est cassée. David, barbe courte, cheveux long et couronné, a toujours un air de Charlemagne ; roi, compositeur, chanteur et musicien à la gloire de Yahvé, il tient une lyre. On remarque les airs sévères, inquiets et soucieux de ces trois hommes, relativement expressifs, excepté David qui semble calme. Une expressivité toujours modérée dans la sculpture religieuse lyonnaise, qui passe facilement inaperçue sans une attention avertie.

Ce pilier reprend une idée que ce sculpteur avait déjà employé vraisemblablement pour la chaire de l’église du Saint-Nom-de-Jésus (cat. 301). Elle aussi démontée, en 1963, seules les statues des prophètes furent récupérées pour être placées dans les ébrasements du porche (cat. 299), ainsi que celle de Saint Jean-Baptiste pour la chapelle des fonts baptismaux (cat. 306). De manière très judicieuse le commanditaire et le sculpteur avaient choisis de figurer les prophètes de l’Ancien Testament qui annonce le Messie : Jérémie, Daniel, Isaïe, Ézéchiel et Jean-Baptiste592. Tous sont debout, habillés à l’antique et tiennent une inscription sur un bandeau ; Jérémie se prend le menton dans la main d’un air soucieux, Daniel est imberbe et regarde vers le ciel, tandis qu’Isaïe et Ézéchiel ne se distinguent que très peu. Seul Jean-Baptiste diffère nettement dans son costume, le rendu est étonnamment moins fini. Pour les cinq statues, l’aspect est impersonnel et monotone.

Enfin de manière peu commune, les prophètes sculptés en reliefs dominent la nef de l’église Saint-Martin d’Ainay. Il s’agit : d’Ézéchiel, le bras gauche plié contre lui tenant une pince et de l’autre bras le long du corps, un rouleau ; de Daniel, en léger mouvement suspendu les bras écartés avec un lion à ses pieds ; d’Isaïe, majestueusement vêtu, la barbe bien scindée en deux, tenant des deux mains une banderole dépliée. ; de Jérémie, enveloppé confusément dans un drap, la tête couverte d’un autre et la barbe très longue ; d’Élisée, lourdement enveloppé dans son manteau, la barbe en deux pointes, les cheveux longs, tenant un vêtement dans sur la main droite et son bâton dans la main gauche ; d’Élie vêtu d’une grande toge, barbe et chevelure longue un peu en désordre, le pied sur un petit char symbolique rappelant son enlèvement au ciel, le mouvement comme arrêté. Il est malaisé de comprendre pourquoi les prophètes de l’Ancien Testament ont été choisis et représentés à cet emplacement. Peut-être ces anciens piliers de la foi en un seul Dieu sont-ils à l’image de garants et de protecteur de la foi des chrétiens qu’ils entourent et veillent symboliquement dans la nef. Mais alors, des patriarches ou des anges auraient aussi bien convenu. L’interprétation du symbolisme de ces statues reste hypothétique.

Les personnages de l’Ancien Testament sont donc représentés uniquement dans des emplacements choisis, ils s’insèrent dans des programmes iconographiques pensés de manière à soutenir un concept de l’Église. L’emploi de ces saints de l’Ancienne Alliance est donc différent des autres statues à usage dévotionnel, ils semblent servir d’arguments raisonnés fondateurs de la foi, et non de médiateurs entre le peuple et Dieu, comme ils le furent pourtant.

Notes
587.

ou pectoral : Plaque d’orfèvrerie comprenant douze cabochons symbolisant les douze tribus d’Israël.

588.

démonté et en grande partie détruit, à l'exception du devant qui fut intégré dans le nouveau maître-autel.

589.

Jean-Baptiste Martin (collab. de J. Armand-Caillat, L. Bégule, J. Beyssac, S.G Dadolle, Abbé J.-B Vanel), Histoire des églises et chapelles de Lyon , Lyon, H. Lardanchet, 1909, tome 1, pp. 238-239. Voir la partie « Les docteurs de l’Église », p. 291.

590.

en référence au rayonnement du front et du visage du grand prophète, lorsque celui-ci revient de son entretien avec Dieu, apportant la Table de la Loi (Ex 35, 29-35).

591.

Rappelant celle portée par les prêtres par-dessus la soutane, en costume de chœur ou en costume de cérémonie ; c'est une bande de tissu, fermée à la taille sur le côté gauche, retombant en deux pans descendant au-dessous du genou, un peu à la manière du pallium.

592.

Inscription sur les statues : "Verba Jeremia Filii helciae" "Daniel intellige Verba quae ego" "Visio Isaiae filii amos" "Factum est Verbum Domini ad Ezechiel" "Ecce Agnus Dei"