2.6 – Les impacts des barrages sur le transport de sédiments

Le flux de sédiments est aussi touché par la construction des retenues, en fonction de la taille de l’ouvrage et de son réservoir. En aval des retenues, les effets sur la charge solide sont très marqués, lorsque la retenue intercepte une fraction significative du matériel solide en bloquant le transfert des sédiments de l’amont vers l’aval. Les concentrations de matériaux en suspension sont fortement réduites et le charriage est en général complètement bloqué dans la retenue.

Une fois que les matériaux sédimentaires sont bloqués dans la partie en amont du réservoir, les cours d’eau en aval de la retenue tendent à redistribuer le matériel sédimentaire qui est déjà présent dans le chenal. Pour les cours d’eau qui ne présentent pas de changements significatifs du débit liquide, ou pour ceux qui présentent une augmentation du débit moyen, une érosion progressive du matériel solide disponible dans le lit se déplace vers l’aval, afin de compenser le déficit de sédiments. La propagation de cette érosion se produit jusqu’au moment où le cours d’eau atteint une nouvelle condition d’équilibre. Dans les cas où le barrage provoque la réduction ou l’élimination des débits les plus forts et l’augmentation de la durée des débits les plus faibles, on peut avoir un transport sélectif des particules, ce qui peut provoquer des modifications nettes de la composition granulométrique du matériel solide du chenal. D’autre part, le déficit de sédiments, l’effet de l’eau « claire » libérée par la retenue, comme la variation des débits à un pas de temps court peuvent déclencher aussi des processus d’érosion des berges. Ces processus fournissent aussi des sédiments qui compensent le déficit de matériel transporté par le chenal. Il existe aussi des effets liés à la réduction de la turbidité de l’eau, ce qui apporte des changements aux habitats aquatiques, à la production de plancton, à la photosynthèse des algues et au développement des populations d’invertébrés et de poissons (Petts, 1984).

Nombreuses sont les études dans le monde portant sur l’efficacité de la rétention des sédiments par les retenues. Selon Williams et Wolman (1984), l’efficience des grands retenus dans le piégeage des sédiments peut atteindre jusqu’à 99 % ; quant aux réservoirs de petite taille, cette valeur tend à être plus faible. D’autres travaux sur l’effet des barrages sur la rétention des sédiments ont été faits par Al-Taiee (1990), Ibañez et al. (1996), Avendaño et al. (2000) et Vericat et Batalla (2004, 2005). Ibañez et al. (1996) et Avendaño et al. (2000) ont identifié une réduction de la charge solide dans l’Ebre, en Espagne, en y retrouvant les proportions décrites par Williams et Wolman (1984), soit de l’ordre de 99 %. Sur le Mississipi-Missouri, Keown et al. (1986) ont trouvé une réduction d’environ 75 % de la charge annuelle en sédiments, ce qui, selon les auteurs, contribue au recul de la côte de Louisiane. Al-Taiee (1990) a constaté qu’environ 95 % de la charge solide en suspension mobilisée pendant les périodes de crue restent bloquée dans le barrage de Monsul, sur le Tigre.

Olive et Olley (1997) ont identifié une réduction de l’ordre d’un cinquième de la charge solide dans la Murrumbidgee, principal affluent de la Murray, en Australie. Dans le même cours d’eau, la réduction du débit liquide annuel après la fermeture des retenues en amont a été d’un tiers. Dans la Snowy, affluent de la Murray, Erskine et al. (1999) ont constaté qu’en raison des apports solides venus des affluents et de la réduction de la capacité de transport du cours d’eau principal, la végétation a proliféré dans le chenal en aval d’une retenue, ce qui a provoqué le rétrécissement de ce chenal.

Quelques retenues sont munies de systèmes de libération des sédiments accumulés. La libération d’une grande quantité de sédiments par les barrages sous forme d’événements ponctuels peut être un mode de gestion très impactant pour le cours d’eau. Selon Chien (1985), les courants de densité libérés par les retenues peuvent donner lieu à des impacts sur les processus de sédimentation dans le chenal, les sédiments relâchés étant en général fins et pouvant être transportés facilement par l’écoulement. Selon Petts (1984), l’introduction soudaine des sédiments dans le système modifié élève les concentrations de la charge solide, ce qui peut produire des problèmes de stress sur les écosystèmes aquatiques. Pour Brandt (2000), le choix du système de libération des sédiments est très important à cause de ses effets possibles sur le cours d’eau. Les changements dans la qualité d’eau, comme par exemple les changements de température, peuvent influencer aussi la capacité de transport de l’écoulement (Webb et Walling, 1996).

Les changements du transport solide en aval des retenues ont été identifiés comme un des impacts les plus importants sur l’environnement. Les effets de la clarification des eaux, lorsqu’une grande partie du débit solide est prise dans la retenue, ajoutés aux modifications du débit liquide, apportent toujours des changements à la capacité de transport du chenal en aval des retenues. Toutefois, la magnitude des changements a une forte relation avec le degré de régulation du flux, la disponibilité de charge solide dans le chenal, la résistance du fond et des berges et avec l’apport de sédiments issus des affluents. Les altérations du transport à l’aval des barrages ne créent pas seulement des impacts sur le chenal, mais aussi sur la plaine alluviale et sur l’ensemble du système. Une discussion sur la capacité de rétention de sédiments par les retenues peut être trouvée dans Williams et Wolman, (1984) et Meade et Parker (1985), à propos du barrage Hoover, sur le Colorado.