4.2.2 – Le transport de sédiments

Le lit des cours d’eau naturels est constamment formé et déformé par les sédiments en mouvement. Dans les cours d’eau alluviaux, les mouvements des sédiments sont variables dans le temps et dans l’espace, et s’adaptent aux changements de l’écoulement, modifiant la morphologie du lit. Ainsi, la compréhension de la dynamique sédimentaire des cours d’eau nécessite la connaissance des interactions qui lient l’écoulement, le transport des sédiments et le développement des formes sur le lit.

Le transport des sédiments par les cours d’eau peut être divisé en trois types : le transport en solution, le transport en suspension (qui peut être divisé en suspension uniforme et suspension graduelle) et le transport de fond ou transport par charriage. La charge dissoute correspond aux ions (cations et anions, comme par exemple les ions K, Na, Ca) qui sont transportés en solution dans l’eau. Ces ions sont issus principalement des mécanismes de dissolution qui ont lieu à l’intérieur du bassin versant. La charge en suspension et la charge de fond correspondent aux flux solides qui s’écoulent dans le chenal (Figure 70).

La charge en suspension est constituée par des matériaux dont la taille et la densité leur permettent, dans des conditions d'écoulement déterminées, de se déplacer sans toucher le fond du lit. Le transport en suspension est en général constitué de matériaux fins, argiles et colloïdes et quelquefois de limons. Quant à la charge de fond, elle est formée de matériaux trop grossiers pour être mis en suspension à cause de leur densité et de la vitesse du courant. Ces particules glissent, roulent ou se déplacent par saltation sur le fond du chenal.

Figure 70– Modes de transport des particules dans un chenal
Figure 70– Modes de transport des particules dans un chenal

La distinction entre charriage et suspension pour un même écoulement liquide dépend de la taille et de la densité des particules, et de la structure d’écoulement. Le diagramme de Hjulström (1935) illustre bien le comportement des particules en fonction de leur taille et de la vitesse du courant (Figure 71). Ce diagramme a été basé sur des expériences en laboratoire afin de déterminer la vitesse minimale d'un courant nécessaire pour mobiliser, transporter et déposer des grains (aussi connue comme vitesse critique de mise en mouvement). Plus les particules sont grossières, plus grande est la vitesse nécessaire pour leur transport; pour les particules moyennes à grossières (sable fin à galets), la vitesse du flux nécessaire pour mobiliser les grains augmente donc avec leur granulométrie. Pour les particules fines, la courbe démontre la nécessité d’une forte vitesse du flux pour les mobiliser. Ce comportement paradoxal est la conséquence de la grande force de cohésion qui existe entre les particules les plus fines. Quand ces particules sont déjà arrachées, elles sont peuvent être transportées à des vitesses nettement plus faibles.

Figure 71 - Diagramme classique de Hjülstrom.
Figure 71 - Diagramme classique de Hjülstrom.

Les propriétés de ce déplacement sont liées principalement aux caractéristiques du fluide (vitesse et viscosité) et de l’écoulement (pente et profondeur) et de celles des éléments eux-mêmes (taille, forme, densité). Aussi, la charge solide transportée par l’eau, en suspension ou sur le fond, est le produit des interactions entre la masse liquide en mouvement, la surface du lit et les propriétés des sédiments. Pour une vitesse donnée, il y a simultanément transport par charriage des matériels les plus lourds et transport en suspension des matériaux les plus légers. Lorsque la vitesse augmente, les matériaux qui étaient simplement charriés peuvent à son tour être mis en suspension. Dans les cours d’eau à graviers, le transport par suspension peut constituer la quasi-totalité du transport, tandis que dans les lits sableux le transport par charriage représente un pourcentage important du total.

En ce qui concerne le transport par charriage, il est important de connaître les forces qui s’exercent sur les particules au fond du chenal, pour pouvoir comprendre ensuite les formules qui donnent la capacité de transport en fonction des grandeurs hydrauliques. Les trois forces principales qui agissent sur le transport solide dans les cours d’eau sont: l’accélération de la pesanteur, la pression et la contrainte de cisaillemen t exercée par l’écoulement sur le fond. L’accélération de la pesanteur(g) est un champ attractif auquel sont soumis tous les corps matériels au voisinage de la Terre. Sur la surface de la Terre, l’accélération de la pesanteur vaut environ 9,81 m/s². Dans le cas des cours d’eau, c’est une partie de la pesanteur qui fait couler l’eau de l’amont vers l’aval. La pression est la force verticale exercée par la colonne d’eau sur une unité de surface du fond du chenal. La contrainte de cisaillement est la force d’attrition entre l’écoulement et la surface du fond du chenal qui créent une résistance à l’écoulement et au transport solide. La relation résultant de ces forces détermine la capacité de l’écoulement à éroder et transporter les sédiments.

La figure 72 démontre l’action des forces de mise en mouvement sur une particule de sédiment (Figure 72). On observe une variation verticale décroissante de la vitesse du flux en direction du fond (u(z)). Le frottement sur le fond explique le gradient de vitesse observé dans le fluide. Le gradient de vitesse varie dans l'épaisseur de l’écoulement depuis la surface, où il est maximum, jusqu'à ce qu'il devienne pratiquement nul quand il touche le fond. Le mouvement du fluide peut être considéré comme résultant du glissement des couches de fluide les unes sur les autres. La vitesse de chaque couche est une fonction de la distance z de cette courbe au plan fixe (u = u(z)).

Lorsque l'eau est en contact avec le fond et les sédiments qu’y sont déposés, l'écoulement est perturbé et la force de frottement de l'eau sur les sédiments ralentit l'écoulement au fond. Sur le fond du chenal il y a une couche limite sur lequel l’écoulement est ralenti par les contraintes de cisaillement (τ). Cette couche limite est délimitée par rapport au fond et à la profondeur sur laquelle la vitesse de l'écoulement ne varie plus. Au-dessus de la couche, le profil de vitesse critique est courbé de façon que le taux de variation de vitesse décroît à mesure que l’on s’éloigne du fond (τ). Le τ0 (Tau0), qui est la valeur de la contrainte tangentielle au fond, est directement proportionnel au gradient de vitesse dans la couche limite (Graf, 1984 ; Simons et Sentürk, 1992 ; Blanckaert, 2005).

Figure 72 – Modes de transport de sédiments selon la vitesse (u), la force tractrice (τ) et l’énergie cinétique turbulente (k).
Figure 72 – Modes de transport de sédiments selon la vitesse (u), la force tractrice (τ) et l’énergie cinétique turbulente (k).

D’après Blanckaert, 2005.

Le paramètre essentiel dans le mécanisme du début d’entraînement des sédiments est la contrainte tangentielle sur le fond . La force tractrice ou tension de frottement (τ) est la tension tangentielle exercée par la colonne d’eau sur les parois du chenal; c’est la force résultant de la friction du liquide en mouvement sur les parois du chenal.

Elle est définie par la relation :

Équation 5 :

Où :

τ force tractrice N/m²
g accélération de la pesanteur m/s²
ρ masse volumique du fluide N/m³
Rh rayon hydraulique M
Se pente de la ligne d’énergie m/m

La force tractrice critique (τc) est celle qui est capable de mettre en mouvement les matériaux du fond. Pour certains auteurs, il s'agit du début de la mise en mouvement ; pour d'autres, la force tractrice critique correspond à la mise en mouvement de l'ensemble de la couche du lit. Lorsque la contrainte de cisaillement sur le fond est supérieure à la contrainte de cisaillement critique (début de l'entraînement), il se produit un mouvement des matériaux par charriage sur le fond dans le sens du courant.

La contrainte de frottement (τ0) dans un chenal possédant des formes de lit et des sédiments en suspension est déterminée par la somme de trois composantes :

  • τ' – la force tractrice due à la résistance des particules, ce qui représente le cisaillement local,
  • τ'' - la force tractrice due à la résistance provoquée par les formes du lit; elle représente l’effet des forces de pression intégrées le long des formes de fond. Elle est causée par la différence de pression entre les parties amont et aval de la dune, lesquelles provoquent une perte d’énergie de l’écoulement.
  • τ''' – c’est la composante associée à l’énergie dépensée pour maintenir les particules en suspension (Yalin, 1972) (Figure 73).
Figure 73 – La résistance de flux dans chenaux avec de dunes.
Figure 73 – La résistance de flux dans chenaux avec de dunes.

Modifié d’après Zhou Liu, 2001.

Pour qu’un sédiment soit mis en mouvement, la contrainte au fond doit être supérieure à une contrainte critique (τc>. Les forces de résistance existantes dans le chenal peuvent être vaincues par la vitesse de frottement (u*), qui est une mesure de l’effet de cisaillement sur le fond. Elle est définie par la relation suivante :

Équation 6 :

Le mouvement des particules dans le cours d’eau dépend des caractéristiques physiques des grains (forme, taille, densité), du degré de cohésion du matériel du fond et de la capacité de l’eau à le mouvoir et à transporter ces particules. Les sables sont plus facilement érodables que les argiles par exemple. Les particules les plus fines nécessitent des vitesses d’écoulement plus fortes en fonction de leur cohésion; une fois libres, les particules fines tendent à être transportées en suspension. Les particules les plus grossières nécessitent des vitesses plus fortes en fonction de leur poids et de leur taille. Quand la vitesse de l’écoulement décroît et devient inférieure à la vitesse de mise en mouvement, le processus de sédimentation se met en place dans le chenal.

En ce qui concerne la connaissance des conditions de l’écoulement dans lesquels est produit le déplacement des particules du lit, plusieurs études ont cherché à mettre en relation les forces de résistance et de mise en mouvement.

La force tractrice a été, et elle reste encore, un paramètre de choix dans l’étude du transport de fond. En fonction de la force qui s’exerce sur le fond parallèlement à la ligne de charge du lit, elle est capable de mettre en mouvement les matériaux de fond.

La plupart des calculs de contrainte critique de mise en mouvement sont basés sur les travaux de Shields (1936). Le critère de Shields (1936) permet de calculer le frottement critique dans le cas d’un écoulement permanent, sur un fond plat horizontal. Le paramètre de Shields, noté θ s, établit le rapport entre la force de frottement du fluide et la force du poids submergé des sédiments. Le frottement adimensionnel ou paramètre de Shields est défini par :

Équation 7 :

Où τ0est la contrainte de frottement exercée par l’écoulement sur le fond ; g est la pesanteur (g = 9,81 m/s²) ; ρ est la masse volumique de l’eau (ρ=1000 kg/m3) (et ρ S est la masse volumique des sédiments (ρ S=2650 kg/m3 pour le sable quartzeux).

Quand la contrainte de frottement devient critique, on doit définir le paramètre de Shields critique, noté par θ cr . Le Shields critique est défini par :

Équation 8 :

Le Shields critique d’entraînement dépend des conditions hydrauliques proches du fond, de la taille des particules et de la position de chaque particule par rapport aux autres. Le nombre de Shields critique rend compte de la variation du paramètre de Shields en fonction du Reynolds particulaire. Il est défini par :

Équation 9 :

Le nombre de Shields critique d’entraînement θ cr peut être déterminé encore en fonction du diamètre adimensionnel D* défini par :

Équation 10 :

ν est la viscosité cinématique du fluide et s est la densité relative du sédiment.

La courbe de Shields a été établie à partir des expérimentations faites en chenal à fond plat avec des particules de taille homogène à partir de mesures systématiques du débit solide en fonction des contraintes hydrodynamiques. Le début de mise en mouvement correspond à un déplacement significatif des particules (Figure 74).

Figure 74 – Courbe de Shields.
Figure 74 – Courbe de Shields. La courbe rapporte le paramètre de début de mouvement des particules (  θ  ) et le paramètre de mobilité (D*). Les valeurs de θ plus grandes que 1 indiquent la présence de la cohésion, les particules présentent alors une résistance à l’érosion plus grande que leur poids.