2.4. Conclusion du chapitre

Ces trois conceptions ne sauraient recouvrir l’ensemble des courants traitant de l’activité mathématique.

Le type de conception à laquelle se rattache l’activité du mathématicien ne semble pas influer sur la définition que le mathématicien pourrait donner du problème mathématique, même si des divergences entre les conceptions peuvent être relevées quant à la place de la théorisation, de l’expérience, de la relation aux objets réels, lors de la résolution du problème. De par la perception que les mathématiciens interrogés par Nimier (1989) ont révélée de leur activité ou encore de par l’observation des types de problèmes qui ont été traités au fil de l’Histoire, on peut conclure que le concept de problème renvoie toujours, pour ces experts, à une question à résoudre, conformément aux définitions extraites de l’Encyclopédie 46 (Diderot, 1751-1772). La solution n’est pas immédiate ; elle est parfois longuement différée dans le temps, comme en attestent par exemple les 23 problèmes de Hilbert (1900) dont cinq ne sont pas encore, à ce jour, entièrement résolus. Elle se présente souvent de façon assez inattendue.

Dès lors qu’il a résolu un problème mathématique, le mathématicien va consigner par écrit le savoir mathématique nouveau. Au fil des siècles, les supports ont évidemment varié, mais depuis les tablettes babyloniennes ou les papyrus égyptiens jusqu’aux publications actuelles dans les revues scientifiques, le principe est resté le même : celui de communiquer des résultats à un moment donné.

Le mathématicien va, pour ce faire, dépersonnaliser le savoir, le décontextualiser, le détemporaliser en faisant abstraction de tous les allers-retours qui ont balisé le parcours de recherche de la solution du problème. Il va parfois introduire un vocabulaire nouveau. Et c’est ainsi que ce savoir sera mis à disposition d’autres chercheurs qui, le cas échéant, le transformeront, voire le généraliseront. Le savoir établi par le savant prend le nom de savoir savant chez Chevallard (1985).

Parmi les savants que sont les mathématiciens et pour lesquels le fondement même de l’activité réside dans la résolution de problèmes, se trouvent ceux qui, issus de l’École normale supérieure, sont devenus professeurs de mathématiques ; leur parcours en général exceptionnel les a conduits le plus souvent à enseigner aux élèves des Grandes Écoles. On peut dès lors se demander :

(i) si ces professeurs qui ont été parmi les plus brillants élèves en mathématiques se retrouvent dans les propos de Bachelard (1938, p. 18) destinés aux professeurs de sciences :

Dans l’éducation, la notion d’obstacle pédagogique est également méconnue. J’ai souvent été frappé du fait que les professeurs de sciences, plus encore que les autres si c’est possible, ne comprennent pas qu’on ne comprenne pas (Bachelard, 1938).

Avec Bachelard, est effectivement posée ici toute la question de l’apprentissage à laquelle se mêle étroitement celle de l’enseignement par l’intermédiaire de la notion d’obstacle pédagogique. Les mathématiques en général et la résolution de problèmes à données numériques en particulier ne sauraient être épargnées par ce type de questionnement car il va de soi que ces domaines ne sauraient être réservés aux seuls mathématiciens. Ce sont donc ces deux paradigmes d’enseignement et d’apprentissage de la résolution de problèmes qui vont faire l’objet des deux chapitres suivants destinés à convoquer les cadres théoriques correspondants : l’un emprunté à la didactique des mathématiques, l’autre à la psychologie en prenant en compte les domaines de l’apprentissage, du développement et de l’éducation.

(ii) ou encore si Adeline, cette élève de 10 ans dont une réplique extraite d’un entretien avec Sarrazy (2002) est rapportée ici, pourrait compter parmi leurs élèves.

- Quand, en classe, tu n’as pas compris ce qu’a expliqué ton maître, que fais-tu ?

- Je le demande à Sandrine parce qu’elle comprend pas elle aussi (Sarrazy, 2002).

Toutefois, il est possible de faire établir des liens étroits entre certaines notions enseignées et la réalité. Par exemple, des professeurs italiens se sont employés à replacer leurs élèves de l’école moyenne 47 dans le même esprit que celui qui avait conduit le créateur mathématique à la découverte (Castelnuovo, Barra, 1980). La figure 15 présente 48 la réalisation d’élèves placés en situation de recherche en vue de la construction d’un mobile destiné à les faire accéder au concept de barycentre.

Figure 15 : L’idée du triangle de Möbius (Castelnuovo, Barra, 1980, p. 210)
Figure 15 : L’idée du triangle de Möbius (Castelnuovo, Barra, 1980, p. 210)

Mais avant d’être transformé en savoir destiné à être enseigné dans les classes, le savoir savant produit par les mathématiciens va subir un ensemble de transformations adaptatives qui vont le rendre apte à prendre place parmi les objets d’enseignement (Chevallard, 1985, p. 39).

Comment passer du savoir savant au savoir enseigné ? Quel sera le travail du professeur ? Telles sont les questions que nous nous proposons de traiter dans le chapitre suivant à travers les travaux issus des recherches en didactique des mathématiques.

Notes
46.

Voir Paragraphe 1.1.

47.

Trois premières années de collège.

48.

La suite de l’exemple figure en annexe 5