Le second chapitre a permis de cerner les conceptions de quelques mathématiciens sur le savoir savant.
Le premier chapitre, à travers le contenu des programmes d’enseignement, avait mis en avant le savoir à enseigner. Les contenus de ce savoir à enseigner sont fixés par les programmes d’enseignement qui prennent en compte l’évolution de la science. L’introduction des mathématiques modernes dans les programmes de 1970, inspirée du mouvement structuraliste, en constitue une illustration. Prenant cette conception comme modèle, nombreux ont été les professeurs qui, à tous les niveaux, du primaire au supérieur, ont basé leurs cours sur des théories abstraites, dénuées de signification pour leurs élèves. Plusieurs voix se sont d’ailleurs élevées contre la présence de ce formalisme dans les cours dispensés. Selon Rouche (in Bouvier, 1981), Le malheur veut que si, dans les écoles, on enseigne avant tout les structures, les élèves eux n’ont pas ce souvenir des problèmes et des théories particulières d’où elles sont issues. On enseigne des mathématiques toutes faites qu’on illustre d’exemples naïfs. Quant à Chevallard (in Bouvier, 1981), il dénonce ces structures qui tombent du ciel sur la tête des élèves.
Ainsi, l’Institution scolaire fait des choix 49 qui sont fixés dans les programmes d’enseignement et qui se traduiront par un savoir à enseigner, lequel deviendra objet d’enseignement et sera destiné à devenir le savoir enseigné par le professeur. Par conséquent, tous les objets mathématiques qui émanent du travail des mathématiciens n’ont pas pour finalité de devenir des objets d’enseignement.
La chaîne suivante (Figure 16) peut résumer le passage entre le savoir savant et le savoir enseigné.
Chevallard (1985) nomme transposition didactique ce passage d’un contenu de savoir précis à une version didactique de cet objet de savoir.
Dès lors se pose la question du contenu du savoir effectivement enseigné. En effet, si on considère qu’acquérir des savoirs en mathématiques, c’est avant tout se poser des questions et résoudre des problèmes, alors on comprend aisément que le rôle du professeur ne doit pas se borner à faire apprendre des théorèmes et à les appliquer à des situations ou, pour rejoindre Dieudonné, cité par Glaeser (1995) à rédiger un exposé clair et précis et à égrener un discours devant un amphithéâtre qui regarde passer le cours, comme une vache regarde passer un train… Selon la même perspective, Chevallard (2003) considère que la didactique s’occupe de la diffusion (et de la rétention, de la non-diffusion) des praxéologies 50 .
En filigrane de ces propos on peut citer les réflexions de Brousseau (1983, p. 167) relatives à la fois au contenu de l’enseignement et aux rôles des différents acteurs de cet enseignement : Un élève ne fait pas de mathématiques s'il ne se pose et ne résout pas de problèmes. Tout le monde est d'accord là-dessus. Les difficultés commencent lorsqu'il s'agit de savoir quels problèmes il doit se poser, qui les pose, et comment.
Ainsi, c’est sur la base d’interrogations sur les pratiques de l’enseignant dans la conduite de sa classe et sur les types de tâches à mettre en place pour faire parvenir ses élèves à une ou plusieurs solutions d’un problème posé en vue de faire émerger de nouveaux savoirs, que Brousseau a fondé la didactique des mathématiques. L’objet de cette science réside donc dans la compréhension des phénomènes d’enseignement des mathématiques. C’est d’ailleurs à partir de ses recherches sur l’échec scolaire 51 spécifique aux mathématiques que Brousseau développera sa théorie des situations didactiques.
Dans L’échec et le contrat, à travers une analogie, Brousseau invite à dépasser les seules investigations sociales ou psychologiques centrées exclusivement sur le sujet-élève et à s’intéresser aux rapports de l’élève au savoir : Mettre en cause l’élève me paraît une attitude analogue (aussi vaine) que celle qui chercherait à expliquer pourquoi l’eau fuit d’un seau percé en analysant les différences de qualité de l’eau qui est sortie et celle qui est restée, comme si les raisons de la fuite résidaient dans les qualités propres à l’eau (Brousseau, 1980b)
Il considère que les causes de l’échec sont à chercher dans le processus même d’enseignement, dans le rapport de l’élève au savoir et aux situations didactiques et non dans ses aptitudes ou dans ses caractéristiques permanentes générales (Brousseau, 1980a, p.128). Sa définition de l’enseignement comme le projet et l’action sociale de faire approprier par un élève un savoir constitué ou en voie de constitution le conduit à définir la didactique des mathématiques comme science des conditions de diffusion et d’appropriation des connaissances mathématiques utiles aux hommes et à leurs institutions (Brousseau, 1997).
C’est donc avec la double perspective de praxis et de logos inhérentes à la didactique des mathématiques que nous nous interrogeons sur l’enseignement et l’apprentissage de la résolution des problèmes mathématiques, les deux processus étant intimement liés si l’on s’en réfère à la définition de l’enseignement donné par Conne (1992) :
Qu’est-ce que l’enseignement si ce n’est d’abord une interaction des connaissances d’un enseignant avec celles de un (ou plusieurs) élève(s). (Rouchier, 1991, in Conne, 1992)
Ceci va nous conduire à examiner les principaux travaux qui émanent de la didactique des mathématiques qui reposent sur l’étude des phénomènes d’enseignement/apprentissage spécifiques aux mathématiques dans le cadre des situations scolaires (Sarrazy, 1995).
Pour ce faire, nous nous tournerons principalement vers les travaux de Brousseau 52 et de Glaeser 53 , principaux fondateurs de ce courant théorique qui s’est développé en France dans les années soixante-dix : la didactique des mathématiques.
Sous le terme noosphère, Chevallard (1997) désigne ceux qui pensent les problèmes d’enseignement d’une discipline.
Au sens de Chevallard (2003) : Le mot de praxéologie, qui désigne dans un même souffle la praxis, le savoir-faire, et le logos, le savoir, qui l’accompagne est le premier objet de la didactique.
Nous y reviendrons ultérieurement avec le cas de Gaël et le concept de contrat didactique (Brousseau, Warfield, 1999).
Brousseau, et les recherches qui ont découlé de sa théorie des situations didactiques.
Glaeser et les travaux de l’école de Strasbourg.