4.2.2. La théorie des modèles mentaux

Dans le cas où le sujet ne dispose pas d’un schéma en mémoire à long terme faute de n’avoir jamais été confronté à un type de problème particulier ou du moins pas un nombre suffisant de fois pour avoir construit un schéma en mémoire à long terme, il ne lui est pas possible de mobiliser un cadre préconstruit permettant de recevoir les données spécifiques au problème à traiter. Il doit alors s’engager dans une procédure pas à pas et construire dans sa mémoire de travail une représentation de la situation.

Ainsi, dans la théorie des modèles mentaux 80 développée par Johnson-Laird (1983), le sujet construit, à partir des données, une représentation analogique d'une situation qui serait stockée temporairement dans la mémoire de travail, contrairement aux schémas qui seraient stockés dans la mémoire à long terme. La construction de la représentation à partir des données relève d’un traitement des informations nommé bottom-up (de bas en haut). En effet, selon Johnson-Laird (1993), les modèles mentaux peuvent être construits par la perception, mais aussi par l’imagination, leur fonction étant de rendre explicites les objets, leurs propositions et leurs relations de manière à ce qu’ils soient disponibles pour faire des inférences, pour prendre des décisions ou pour résoudre un problème. Les modèles mentaux sont utilisés pour simuler une situation et c’est cette simulation qui sert de base au raisonnement (Cavazza, 1993). Enfin, c’est la manipulation du modèle, ou la construction de plusieurs modèles alternatifs qui permet d’arriver à une conclusion au cours d’un certain nombre de tâches de raisonnement (Johnson-Laird, Byrne, 1991).

Cavazza (1993) précise les caractéristiques des modèles mentaux. Selon ce psychologue cognitiviste, la constitution d’un modèle mental est représentative de la situation puisqu’elle est basée sur des objets du monde physique. Le modèle mental est une représentation dont les relations et le contenu sont fidèles à la réalité. Cavazza dit que le modèle mental est homomorphe au monde. Il s’agit d’une représentation dynamique, c’est-à-dire évolutive pendant le traitement. L’existence du modèle mental n’est que transitoire et le stockage s’effectue en mémoire de travail, contrairement au schéma qui se situe en mémoire à long terme. Mais le modèle mental est également qualifié de constructif par Cavazza dans le sens où cette représentation utilise aussi des connaissances récupérées en mémoire à long terme.

Cette idée de mobilisation des connaissances antérieures est soulignée à plusieurs reprises (Fayol, 1996 ; ONL, 2000). En effet, la construction de la représentation analogique de la situation décrite dans un texte s’appuie naturellement sur le texte mais nécessite aussi que le lecteur complète les informations fournies seulement en partie par le texte. Pour ce faire, il doit mobiliser des connaissances préalablement acquises. On constate que des sujets experts soumis à la lecture préalable d’un texte informatif, obtiennent des meilleures performances que des sujets novices.

D’autres psychologues, Reusser (1989), Staub et Reusser (1995), Nathan et al. (1992) qualifient de non-mathématique le modèle mental qu’ils nomment aussi modèle de situation ou modèle épisodique de situation, compte tenu qu’il spécifie les acteurs, les actions et leurs relations dans la vie de tous les jours.

Cette théorie des modèles mentaux peut parfois se révéler mieux adaptée que la théorie des schémas pour expliquer certains résultats. Par exemple, Thévenot (2000) a montré que cette théorie permettait d’expliquer l’effet facilitateur du placement de la question en début d’énoncé pour les sujets faibles calculateurs. En effet, le placement de la question en début d’énoncé ne permet pas uniquement l’activation d’un schéma de résolution ; il permet aussi une meilleure récupération des informations nécessaires à la construction d’un modèle mental.

Cependant, Novotná (2002) considère que la construction d’un modèle mental, dans le cadre de la résolution de problèmes, peut parfois se révéler insuffisante pour conduire l’élève à la production directe d’une solution. L’élève doit alors recourir à des représentations écrites sous une forme textuelle ou iconique. Selon Novotná, ce recours permet de (i) soulager la mémoire de travail, (ii) faciliter la démarche heuristique grâce à la manipulation par écrit de relations, (iii) communiquer plus aisément ses représentations, (iiii) soumettre le modèle mental au contrôle.

En résumé, la théorie des modèles mentaux permet de mieux comprendre certains processus cognitifs mis en œuvre dans la résolution de problèmes. Cependant, elle ne saurait être exclusive et on peut dire que certains résultats s’interprètent par la théorie des schémas, d’autres par la théorie des modèles mentaux ; à ce jour, aucune de ces deux théories ne semble prévaloir sur l’autre.

Notes
80.

Il s’agit d’une théorie des représentations mentales mises en œuvre dans le langage et le raisonnement.