Malgré l’interdépendance que Goffman établit entre le face work et les rites d’interaction qui constituent une façon d’exercer la figuration 18, les contraintes rituelles jouent elles-mêmes un rôle propre et fondamental pour l’interaction et sa description. Comme je l’ai indiqué plus haut, Goffman part du principe que l’interaction des membres de la société est soumise à des règles. Concernant ces règles il précise :
‘Si peu grave que soit une rencontre donnée, hormis la réalité sensible qu’elle construit, les règles de conduite qui obligent les individus à se montrer aptes et disposés à se laisser emporter par elle sont d’une importance capitale. Les hommes qu’elles lient se trouvent ainsi liés à l’interaction verbale, et celle-ci, partout présente, est nécessaire au fonctionnement de la société. (1974a : 119)’La description de ce cadre des règles de conduite sera de premier intérêt pour l’analyse des réunions scoutes. Concernant la description et l’analyse des types d’interaction, nous devons à Goffman quelques observations essentielles. Tout d’abord, chaque interaction est soumise à des contraintes rituelles (1987 : 11-84). Goffman procède donc dans son analyse à la description des séquences qu’il appelle des échanges rituels (1974a : 21-24). La séquence la plus simple se compose de ce qu’on appelle, selon la terminologie de Sacks, une paire adjacente. Elle consiste en une question et une réponse, mais les séquences peuvent aussi bien s’étendre sur plusieurs tours de parole. Les plus fréquentes sont probablement les salutations et les adieux que Goffman caractérise comme des « parenthèses rituelles qui enferment un débordement d’activité conjointe » (1973 : 88).
Dans son dernier livre, Façons de parler, qui est celui qui met le plus l’accent sur les questions linguistiques, Goffman propose une analyse détaillée du dialogue conversationnel en s’appuyant notamment sur les répliques et les réponses (1987 : 11-84). Il en tire les conséquences suivantes – dont nous tiendrons compte lorsque nous analyserons les activités discursives : les échanges sont liés au contexte et doivent être interprétés en fonction de celui-ci. Pourtant, il ne suffit pas de s’arrêter au simple constat que le contexte « compte » (1987 : 76). Partant du fait que les mêmes mots peuvent être compris différemment, il importe d’expliquer le lien entre le contexte et la signification d’une énonciation.
L’autre hypothèse que nous trouverons confirmée en examinant les interactions scoutes, c’est que le cadre des contraintes conversationnelles n’est ni statique ni intangible. Au contraire, il peut être aussi bien « honoré » que « renversé » ou « dédaigné » selon l’humeur des interactants (1987 : 84).
C’est ainsi que la notion de face work a été traduite en français par le traducteur de Goffman, Alain Kihm.