L’identité de groupe

Comme la construction de l’identité dépend en partie du style communicatif, les approches méthodologiques se ressemblent. Pourtant, le concept d’identité, tout en incluant souvent l’idée de style communicatif, permet de décrire d’autres aspects essentiels pour la description des interactions verbales d’un groupe qui peuvent être résumés par le terme de positionnement.

Schenkein (1978) a été parmi les premiers à étudier le rôle de l’identité en interaction. Il a mis en évidence deux caractéristiques essentielles : l’identité se négocie en interaction et, par conséquent, un locuteur peut incarner plusieurs identités « officielles et officieuses ».32 Autrement dit, il y a des identités qui ne se réalisent et se maintiennent que par le langage et les pratiques sociales (Bucholtz, 1999).

L’ouvrage « Identities in Talk », édité par Antaki et Widdicombe (1998) rassemble plusieurs études qui montrent dans quelle mesure l’identité est constituée et utilisée en conversation. En partant des exposés de Sacks (2000), les éditeurs soulignent que « identity work is in the hands of the participants not us [i.e. les chercheurs] » (1998 : 4). En revanche, il revient aux chercheurs d’étudier comment les interlocuteurs emploient certaines identités et catégories.

Cette approche qui se base sur l’ethnométhodologie et l’analyse conversationnelle peut suivre plusieurs pistes. Edwards (1998) étudie par exemple l’emploi des catégories d’identité de girls et de (married) women au cours d’un entretien entre un couple marié et son conseiller. L’auteur dévoile comment les deux catégories, désignant les mêmes personnes, sont employées différemment par le mari et son épouse selon leurs stratégies respectives : tandis que le mari critique par exemple le fait que sa femme sorte avec des girls et lui reproche de se comporter comme une jeune fille à ces occasions, la femme insiste au contraire sur le fait qu’il s’agit de married women. Quant à la femme avec laquelle le mari a trompé son épouse, elle est désignée du terme de girl ce qui vise à dégrader son statut.

Par ailleurs, Zimmermann (1998) étudie l’identité discursive (discourse identity) émergeant « as a feature of the sequential organization of talk-in-interaction, orienting participants to the type of activity underway and their respective roles within it » (1998: 92). En étudiant des appels téléphoniques passés à un centre de service des urgences, l’auteur montre comment l’identité se crée au cours de l’échange et qu’elle contribue à la constitution de l’interaction.

La même approche qui présuppose que l’interaction verbale est le moyen essentiel pour s’identifier a également été appliquée dans la recherche sur le langage des jeunes. Le recueil de travaux Discourse Constructions of Youth Identities édité par Androutsopoulos et Georgakopoulou (2003) insiste sur le fait que, conformément à la construction continue de la réalité sociale, l’identité se crée également au cours de l’interaction verbale. Elle doit être perçue comme un concept pluriel et dynamique. Créer une identité s’exprime donc par des stratégies de positionnement : le(s) locuteur(s) s’inclu(en)t ou s’exclu(en)t des groupes sociaux ou se situe(nt) par rapport à d’autres.33 Selon Deppermann & Schmidt (2003 : 30), le locuteur a plusieurs moyens verbaux à sa disposition afin d’établir des catégorisations identitaires :

  • le choix de substantifs ou d’adjectifs désignant des groupes sociaux ou des caractéristiques personnelles, comme l’étranger, motivation, noir, honnête par exemple
  • des périphrases verbales qui décrivent des attitudes, des activités ou des caractères, typiques pour une catégorie (« il n’arrête pas de se plaindre », « il aime faire du sport »)
  • des pronoms personnels (nous - eux)
  • des localisations (en banlieue, ici - ailleurs)
  • la narration des histoires (Georgakopoulou, 2003)34
  • l’imitation d’un code particulier (Auer, 1998) ou d’une intonation marquée
  • l’expression des actes de langage liés à des catégories d’identité, comme par exemple donner des ordres, insulter, féliciter.

La complexité de ces procédures de positionnement se révèle par exemple dans l’étude de Auer et Dirim (2003). Ceux-ci montrent comment des jeunes Allemands arrivent à construire des identités diverses en imitant la langue des jeunes Turcs en Allemagne. Néanmoins, parler turc peut avoir des fonctions sociales très diverses, même contradictoires. En s’exprimant en turc les jeunes peuvent par exemple s’identifier avec un ghetto code (Auer & Dirim, 2003 : 243) ou, au contraire, se distancier d’un stéréotype. Déceler des identités dans le discours exige donc une analyse discursive et pragmatique complexe qui doit s’appuyer forcément sur le contexte social :

‘Based on ethnographically derived categories, research is thus concerned with situated communities emerging around aesthetic preferences, hobbies and commodities such as music styles or video games. A common denominator of such approaches is the assumption that youth identities cannot be understood outside their particular socio-cultural context. (Androutsopoulos & Georgakopoulou, 2003: 3)’

De cette façon, l’étude de l’identité rejoint la description du style communicatif. L’étude sur le style communicatif d’un groupe de jeunes immigrés turcs à Mannheim menée par Kallmeyer et Keim que j’ai décrite plus haut cherche finalement à analyser l’identité de ce groupe. Selon les auteurs, le style est gravé « in the groups’ socio-cultural orientation as well as in the perception of themselves in relation to relevant others » (2003: 29). Ainsi le style peut être considéré comme l’expression de l’identité.

Comme dans ces deux études que je viens de mentionner, l’analyse de l’identité de scout se réfère à une identité de groupe et à son positionnement par rapport à d’autres jeunes ou à d’autres membres de la société. Le problème de l’identité individuelle sera abordée par le biais des profils interactionnels.

Notes
32.

C’est moi qui traduis: « Official identity – unofficial identity » (Schenkein, 1978 : 64).

33.

Bucholtz parle de « negative identity practices » et de « positive identity practices » qui sont exprimées sur divers niveaux linguistiques : phonologique, syntaxique, lexical et discursif (1999 : 212).

34.

Pour la langue allemande, plusieurs auteurs ont souligné l’importance du discours rapporté pour l’émergence de l’identité, par exemple Brünner (1991), Günthner (2002).