Les activités discursives

Afin d’expliquer la notion d’activité discursive je m’appuierai sur l’exemple de la salutation. Kerbrat-Orecchioni & Traverso (2004) s’y réfèrent en tant que G2, plus précisément comme activité discursive. Néanmoins, dans leur article, les auteurs ne distinguent pas entre activité interactionnelle et activité discursive et, de surcroît, elles constatent que, dans le cas d’une rencontre furtive, une salutation peut également constituer un type d’interaction. A partir d’un extrait de mon corpus, j’éclairerai le rapport entre les trois niveaux de description tels que je les définis pour mon analyse.

La situation est la suivante : les scouts sont en train de ramasser les assiettes pour passer au prochain plat au moment où le père d’un scout entre dans la pièce et salue les garçons.

Extrait n°1 (27-2-2004 : l. 2014-2023) :

1 M : non non mais sérieux comme ça ce sera bonjour monsieur
2   [entre le père de Corentin]
3 B/An: bonjour monsieur
4 P : BONjour messieurs comment ça va\
5 B : bie:n
6 P : bonjour enchanté
7 M: enchanté
8 P: CA VA/
9   [.]
10 P: ça se passe bien/

Qu’est-ce qui caractérise ici l’activité discursive ?

Comme je l’ai montré, l’analyse des activités discursives s’appuie sur des marques formelles. Dans notre exemple, ce sont alors le vocabulaire et les locutions utilisés (bonjour (monsieur/messieurs), (comment) ça va, bien, enchanté) qui expriment les actes de langage interdépendants, des paires adjacentes.45 La salutation réciproque est suivie de la question ritualisée sur l’état de santé « comment ça va », à laquelle succède une réponse « bien ». Dans l’exemple cité, ce schéma se répète deux fois (3-5 ; 6-8). A la reprise (6), la question « ça va » reste sans réponse, ce qui confirme le caractère rituel de l’échange. Les éléments non exprimés (comme par exemple une réponse à la question « ca va », 8) sont sous-entendus.

L’activité discursive est déterminée par des critères externes : le cadre, l’objectif et les participants ; dans ce cas précis, une personne entre dans la pièce afin de saluer les autres personnes qui y sont rassemblées. Le fait que la salutation soit exprimée d’une façon aussi longue et détaillée est lié à l’identité du nouvel entrant. La politesse vis-à-vis du père oblige le groupe à une salutation formelle. Les salutations entre les membres de la patrouille au début de l’interaction sont bien plus courtes. Ici le père détermine l’interaction et, après une mini-pause, il ouvre la discussion sur le déroulement de la soirée.

Comme nous l’avons constaté ci-dessus, l’exemple de la salutation est ambigu dans la mesure où elle peut constituer une activité discursive, une activité interactionnelle et même un type d’interaction. D’un autre côté, cette caractéristique nous permet de souligner la différence entre les trois niveaux en nous appuyant sur un exemple concret.

Premièrement, il est évident que la salutation ne constitue pas le type d’interaction. La séquence n’est même pas située au début de l’interaction. Elle interrompt plutôt l’interaction en cours (1) et s’inscrit dans un contexte plus large de l’événement communicatif, la réunion scoute.

Deuxièmement, on pourrait argumenter que la salutation représente une activité interactionnelle. En effet, l’activité est intégrée dans une séquence à laquelle participent plusieurs locuteurs, la salutation enchaîne des réactions qui suivent même un schéma rituel. Mais au lieu de parler ici d’activité interactionnelle et pour éviter la confusion je préfère parler d’une séquence qui dépend d’une activité discursive. Toute la séquence s’inscrit dans une activité interactionnelle plus générale consistant à discuter avec le père.

L’activité de salutation constitue donc une activité discursive. Si nous insistons sur cette catégorie, c’est parce que notre intérêt porte sur la réalisation langagière. Pour cette raison, l’analyse s’appuie sur les marques formelles d’ordre linguistique, pragmatique, sémantique, prosodique et kinésique46.

Le rapport entre ces deux catégories, loin d’être toujours évident, sera précisé au cours de l’analyse des données. Pour le moment, en partant de cet extrait, nous précisons les trois niveaux de description de la façon suivante :

Niveau Dénomination Exemples
macro type d’interaction - réunion scoute
méso activité interactionnelle - discuter avec le père
micro activité discursive - saluer

Pour clore ce passage de définition, il me semble important de préciser la différence sémantique que je fais entre activité langagière et activité discursive. Bien que les deux termes puissent être employés comme synonymes, leur emploi n’est pas identique. Tandis que la notion d’activité langagière a une signification plus large, celle d’activité discursive se réfère à la description d’activités dans le cadre d’un type d’interaction. Par conséquent, c’est elle, en général, qui est employée dans le contexte de description d’interactions verbales. Pour cette raison, je préfère parler d’activités discursives dans notre contexte d’analyse.

Notes
45.

Dans son analyse des interactions verbales, Taboada (2004 : 205) s’appuie également sur la description des actes de langage qui caractérisent selon elle les parties pertinentes de chaque interaction.

46.

Quand les données le permettent, ce qui n’est pas le cas pour les enregistrements audio des réunions scoutes.