Les routines langagières

Le deuxième aspect important qu’illustre la séquence de salutation est le caractère rituel de l’échange.52 Par routine je comprends des activités récurrentes qui s’appuient sur des formulations standardisées. Ici, standardisé ne doit pas être interprété dans le sens de grammaticalisé, mais signifie que la formulation est répétée de façon similaire. L’importance des routines langagières a été soulignée par Coulmas (1981) selon qui :

‘La performance de beaucoup d’activités discursives exige l’emploi des formulations routinisées : la salutation, le remerciement, la présentation, l’ouverture de la conversation, l’excuse (…) sont des activités qui nécessitent souvent du matériel langagier qui est extrêmement standardisé.53 (1981 : 14)’

Malgré le caractère créatif de la langue, la répétition des situations fait que les locuteurs ont recours à des formulations « toutes faites ». Dans la mesure où les routines sont l’expression langagière de « stratégies collectives d’activités et de réactions dirigées vers un but » (Coulmas, 1981 : 68)54, elles dépendent entièrement de leur fonction et par conséquent du contexte situationnel. Pour cela, l’emploi des routines jouent un rôle important dans la description des activités discursives d’un type d’interaction. D’après Coulmas, les formules de routine d’une langue indiquent que certaines activités communicatives sont accomplies si souvent dans une société qu’elles prennent un caractère rituel (1981 : 16). Si l’on transfère cette théorie à notre contexte, les routines langagières nous montrent quelles activités peuvent être considérées comme des rituels du groupe tout en prenant en compte le type d’interaction.

Pour l’analyse des activités discursives je me suis inspirée des études qui partent d’un type d’interaction et étudient les formes d’action et d’expression (Handlungs- und Äußerungs­formen, Dannerer, 1999) qui en dépendent. Pour les réunions, Dannerer (1999) décrit des activités pertinentes comme s’informer, régler des divergences d’opinion ou distribuer des tâches. Etudiant le même type d’interaction, Meier parle des formes d’agir (Handlungs­formen, 2002 : 9) en précisant qu’au cours d’une réunion on trouve des solutions de routine aux problèmes d’interaction structurels. Il décrit les activités qui consistent à se focaliser sur un problème, à diriger le développement thématique, à faire des propositions, à présenter des arguments et à prendre des décisions.

En dehors du contexte du type d’interaction de la réunion, plusieurs études allemandes analysent des activités langagières dépendant d’une situation, par exemple d’un conflit. Schank et Schwitalla (1987) font la différence entre les stratégies coopératives qui servent à régler des conflits, telles que l’utilisation des paraphrases, des corrections, des répétitions, des précisions ou des questions, et les stratégies non-coopératives, telles que les exagérations ou la non-compréhension intentionnelle. Par ailleurs, ils décrivent des éléments censés éviter le conflit comme par exemple les phénomènes paralinguistiques, le choix lexical, le changement de sujet ou de focus, le changement de style, de destinataire ; ils mentionnent et incluent également les actes de langage comme les aveux, les excuses, les reproches à soi-même ou les louanges dans leur description des activités discursives.

L’analyse des réunions scoutes s’intéressera aux activités discursives dépendant du type d’interaction et ayant un statut rituel. En s’appuyant sur le niveau micro, elle cherchera à discerner les formules « routinisées » qui caractérisent le style scout.

Notes
52.

En ce qui concerne l’emploi des deux notions rituel et routine, je reprends la distinction faite par Traverso (1996 : 41): « rituel pour désigner globalement le type de comportement et routine pour renvoyer à la réalisation particulière du rituel ».

53.

C’est moi qui traduis: « Die Durchführung vieler Sprechhandlungen ist auf die Verwendung von Routineformeln angewiesen: Gruß, Danksagung, Vorstellung, Gesprächseröffnung, Entschuldigung (...) sind Handlungen, zu deren Durchführung meist sprachliches Material verwendet wird, das hochstandardisiert ist. »

54.

C’est moi qui traduis: « Routineformeln sind das sprachliche Gewand kollektiver Strategien zielorientierten Handelns und Reagierens. »