Les créations scoutes

Parmi les créations de mots, quelques-unes datent de l’époque de Baden Powell. D’abord, les initiales du fondateur scout, dont on a dérivé en anglais la formule be prepared, ont également trouvé un emploi chez les scouts français. D’un côté, la formule a été traduite littéralement en français (être prêt), et d’un autre côté, les initiales, BP, servent de surnom donné au chapeau à quatre bosses que portent les éclaireurs. L’idée du good turn, c’est-à-dire de rendre chaque jour un service à quelqu’un, à laquelle les scouts s’engagent par leur promesse, a trouvé son équivalent en français avec la bonne action, entrée dans la langue courante de nos jours par le sigle : la BA.

Deux autres mots, employés dès l’époque du fondateur anglais, sont entrés dans la langue française : le mot jamborée emprunté à l’anglais est d’origine hindi et désigne une grande réunion de scouts à un niveau régional, national ou même international ; l’expression kraal, le coin des chefs au camp, vient du néerlandais et est entrée dans le vocabulaire scout grâce au séjour de Baden Powell en Afrique du Sud. A l’origine, un kraal est un enclos pour le bétail (Petit Robert).

Les pionniers du scoutisme français ont également laissé des traces dans le vocabulaire scout. Ainsi, une grosse gamelle est nommée boname d’après les frères Charles et Henri Bonnamaux (SUF, 2000 : 113-114). La technique du froissartage vient de Michel Froissart, un responsable des Scouts de France qui l’a mise au point dans les années trente. C’est l’art de réaliser des constructions au moyen d’assemblages en bois travaillé avec un outillage simple ( www.le-scoutisme-francais-en-franche-comte.org/13assemb.html ). L’expression anglaise qui décrit le travail du bois en général est devenue le nom de la revue des SUF, Woodcraft. Par ailleurs, la désignation de la méthode de codage du vigenère trouve son origine dans le Traicté des chiffres paru en 1586 et développé par Blaise de Vigenère. Le rugby scout, le s(i)oule, porte le nom d’un jeu très ancien qui est évoqué pour la première fois dans le Roman de Renart (éd. Roques, IIIa, 4404).

L’origine du mot aspirance, bien qu’il ne fasse pas partie du vocabulaire français, est évidente. Comme il s’agit d’une période d’orientation qui prépare et précède l’engagement scout, la création du mot aspirance est directement dérivée du verbe aspirer dans le sens de « porter ses désirs vers un objet » (Petit Robert).

D’autres créations scoutes proviennent de procédures morphologiques très usuelles, comme la troncation finale. Ainsi le concu désigne le concours de cuisine, la cotis la cotisation annuelle, les instals les installations du camp et la patrouille devient la pat. La revue Woodcraft est appelé craft, le seul exemple de troncation initiale, censée être plus rare dans la morphologie du français populaire (Gadet, 2003). En outre, les scouts terminent des mots par –os ou –o : ils se réfèrent au matériel en tant que matos et au rassemblement comme rasso. Le suffixe –os est un trait d’argot très vivant dans le langage de jeunes (Boyer, 2001). L’apocope en –o est fréquente dans la langue populaire où un bon nombre de lexèmes se terminent en –o bien que la voyelle ne figure pas à l’intérieur du mot de départ, comme dans l’exemple : rassemblement – rasso (Gaudin & Guespin, 2000 : 294). Les sigles sont aussi fréquents : le chef de patrouille est toujours appelé CP, le Second est le SP, la CDH désigne la cour d’honneur, le CDC le conseil des chefs et la HP la haute patrouille.

Enfin, il existe des désignations imaginaires comme le cul de pat, désignation « officielle » du membre le plus jeune de la patrouille, ou la création de kandpaq qui suit la prononciation de camp de Pâques. L’origine du mot totoche, désignant la corne scoute qui appelle les éclaireurs au rassemblement reste incertaine. Son homonyme qui dénomme une sucette de bébé vient sûrement de l’étymon germanique *titta signifiant le sein féminin (Wartburg, 1966 : 33). Le rapport sémantique entre la corne scoute et la sucette demeure pourtant obscur.

Pour résumer, on peut dire que certaines créations du lexique scout ressemblent en partie à des formations morphologiques connues, tandis que d’autres expressions ont leur origine dans l’histoire du mouvement ou bien ont été créées par besoin. La majorité des expressions relève du lexique militaire, mais d’autres registres, comme celui de la nature, ont également fourni des lexèmes afin de dénommer le monde scout.