Les activités interactionnelles des réunions scoutes au cours de l’année

Outre le contenu, une description des réunions scoutes demande une analyse des activités interactionnelles, autrement dit du niveau méso.102 Cet aspect ne nous permet pas seulement de préciser la structure et le déroulement des réunions, mais aussi de regrouper les réunions scoutes en trois types différents au cours de l’année.

Les réunions et leurs objectifs sont entièrement liés au déroulement de l’année scoute et à son moment essentiel, le camp d’été. Dès la rentrée, toutes les activités interactionnelles servent à préparer ce moment et les réunions jouent ici leur rôle. La première réunion après la rentrée a lieu après le premier week-end de troupe, en octobre ou novembre. C’est le moment pour les scouts de se souvenir du camp d’été qu’ils viennent de passer. A chaque fois, ils ont regardé des photos ; la première année, les photos étaient publiées dans Woodcraft, la deuxième année, j’en avais moi-même apporté. Néanmoins, l’objectif principal de la première réunion est la mise en place de la nouvelle patrouille : faire connaissance avec les nouveaux arrivants et organiser les postes d’action. L’échange de souvenirs, le premier contact et la coordination représentent les points fondamentaux que les deux premières réunions avaient en commun. J’appellerai donc la première réunion une réunion de constitution.

Malgré une structure globale commune, les deux réunions de constitution auxquelles j’ai assisté montrent aussi des différences : en 2002, le CP avait prévu que le groupe apprenne le vigenère et s’y entraîne pendant la réunion. Par conséquent, les scouts étaient occupés à la fois par le décodage et le repas, donc un programme bien structuré qui servait de fil conducteur tout au long de la soirée. De plus, les chefs de troupe étaient arrivés en apportant un jeu supplémentaire de codage. En revanche, la première réunion en 2003 tournait autour des questions d’organisation comme les postes d’action et le planning de l’année. Par conséquent, le CP dominait l’interaction et intervenait d’une manière éducative. Entre autres, il précisait la fonction des réunions en expliquant que les deux premières réunions devaient contribuer à « mieux se connaître », et que « les chefs veulent absolument qu’(ils) fasse(nt) une prière dans la réunion » (ce qu’ils ne feront pas). Le fait de s’imposer d’une manière trop autoritaire dès la première réunion peut d’ailleurs provoquer de fortes réactions de la part des autres scouts qui ne tardent pas à critiquer l’attitude de fausse fermeté de leur chef :

Extrait n°1 (11-10-2003 : l. 2254-2258) :

1 Q : chaque fois à la première réunion ça fait le CP XX toutes les théories non il faut pas ceci il faut pas ça il y a trois ans il y a trois ans
2 M : non mais il y aura peut-être
3 C : arrêtez y aura pas de clopes franchement
4   []
5 Q : le CP avait bien dit y aura pas d’alcool y aura pas de clopes et bah c’est bien pour ça qu’il s’est brûlé la gueule

En résumé, les activités interactionnelles caractéristiques de la réunion de constitution consistent à se souvenir du camp d’été, à regarder les photos, à faire connaissance, à organiser les postes d’action, à annoncer des projets, à organiser les prochaines activités, à négocier les rôles et, au moins une fois, à apprendre le vigenère. En outre, il faut mentionner les activités interactionnelles comme dîner et discuter des événements scouts vécus ensemble ou à venir qui déterminent toutes les réunions scoutes au cours de l’année.

Officiellement, et comme l’analyse des sujets de conversation l’a démontré, la deuxième réunion qui se déroule après les vacances de Noël, en janvier ou en février, n’est pas à strictement parler une réunion, mais un dîner de patrouille. Contrairement à toutes les autres réunions, les dîners de patrouille n’avaient pas lieu chez Maxime, mais chez un autre scout ; par exemple, la première année, Xochiel accueillait la patrouille pour une soirée crêpes. Plus encore qu’une réunion habituelle, le dîner est un moment de convivialité au cours duquel l’accent est davantage mis sur la bonne entente en patrouille que sur les questions d’organisation et de préparation. Les sujets de conversation sont prédominants et les activités interactionnelles les plus importantes consistent à dîner et discuter entre copains. Cela n’empêche certainement pas que des sujets scouts soient abordés. Au fond, il s’agit de former une patrouille qui passera l’année et les trois semaines de camp d’été ensemble, donc de mieux faire connaissance. Dans cette perspective, les membres de la patrouille s’organisent une soirée et dînent ensemble. Et de fait, lors de cette soirée, ils semblent davantage porter leur attention sur l’activité de dîner que lors des autres réunions.

Les données montrent que les éclaireurs ne sont pas toujours conscients de la différence entre une réunion et un dîner de patrouille. Au cours du dîner, il leur arrive que des sujets scouts, par exemple prévoir les installations pour le camp d’été, soient évoqués. Pourtant, ces sujets risquent d’être repoussés par le chef de patrouille ou un autre scout qui suggère que ce n’est pas le bon moment pour aborder ces aspects :

Extrait n°2 (27-2-2004 : l. 1764-1767) :

1 G : bon vous voulez pas qu’on commence le plan de la tente là/
2 M : t’as raison oui
3 G : non mais
4 C : euh c’est bon en juin on a le temps euh

Comme préparer le camp est une activité interactionnelle typique des réunions scoutes, Grégory propose de faire le plan des installations. Mais son initiative est tout de suite interrompue : d’abord implicitement par l’énoncé de Maxime103, puis, comme Grégory amorce une objection, Corentin explicite que cette activité sera remise à une autre réunion. A ce moment de l’année, le plus important est donc de passer un bon moment ensemble, de se retrouver en patrouille après les vacances et avant d’autres week-ends de troupe et le camp de Pâques.

Cette absence d’activité précise peut amener le groupe à aborder toutes sortes de sujets, ou bien provoquer des blancs dans la conversation. Au cours du dîner en février par exemple, la conversation n’est pas très animée, ce qui est souligné à trois reprises par les scouts eux-mêmes qui passent à un métalangage pour le faire remarquer explicitement :

Extrait n°3 (27-2-2004 : l. 2943-2945) :

1 G : oui bon parlons des choses intelligentes ou/
2 M : j’sais pas
3 G : super conversation (.) on t’écoute

Que Grégory s’adresse à Maxime pour lui demander de trouver un sujet intelligent souligne le fait que les structures de la patrouille sont le garant d’un bon déroulement. En cas de silence, on attend du CP qu’il anime la conversation.104 S’il ne trouve pas de sujet (2), c’est à lui que la patrouille reproche la mauvaise ambiance (3). Bien que, officiellement, ils distinguent la réunion du dîner de patrouille, cette différence est surtout théorique et les scouts eux-mêmes n’en ont pas toujours conscience. Par conséquent, l’analyse n’exclura pas les dîners en patrouille enregistrés, mais s’appuiera autant sur les rencontres de janvier et février que sur les autres.

La réunion de fin avril/ début mai était à chaque fois la plus animée et la plus longue de l’année. Elle rendait compte des expériences que les scouts venaient de vivre pendant le camp de Pâques ; cela montre bien à quel point les réunions et l’ambiance de patrouille en général dépendent des autres activités scoutes et d’abord des camps. Coïncidence curieuse entre les deux années : à chaque fois, un retardataire est applaudi. Bien qu’il n’y ait aucun rapport entre l’applaudissement spontané en 2003 à l’arrivée inespérée d’Anatole et l’applaudissement arrangé à l’arrivée très en retard de Corentin, l’incident est à chaque fois la conséquence des événements vécus au camp qui influent beaucoup sur les réunions. Car les réunions permettent justement de revivre et de prolonger les expériences du camp.

Cette troisième réunion dans l’année est aussi le moment idéal pour profiter des souvenirs afin de préparer les prochains événements, notamment le camp d’été. Elle commence à chaque fois par la question du CP qui veut connaître les opinions des autres sur le camp qu’ils viennent de faire. Ensuite, les scouts passent concrètement à la préparation du grand camp d’été. Ils font un plan des installations, une activité qui est accompagnée à chaque fois par des échanges sur leurs expériences précédentes. J’accorde à cette réunion l’attribut de préparation du camp d’été qui se caractérise par des activités interactionnelles comme parler du camp de Pâques, préparer le camp d’été, faire le plan des installations et chercher des idées pour une veillée et le concu.

Il faut toutefois préciser que les préparations étaient très complètes et efficaces au cours de la première année, tandis qu’en avril 2004 les scouts avaient seulement commencé un plan sans le terminer, que ni veillée, ni concu n’avaient été évoqués, et que le projet de t-shirt n’avait pas pu être décidé. Les activités interactionnelles dominantes étaient alors dîner et discuter des affaires de patrouille, par exemple trouver un travail qui permettrait de gagner de l’argent de patrouille.

En donnant un aperçu du déroulement des réunions pendant l’année, il est possible de préciser les différents types d’interaction dont dépendent différentes activités interactionnelles :

Types d’interaction Activités interactionnelles
Réunion de constitution dîner
se souvenir du camp d’été
regarder les photos
faire connaissance
organiser les postes d’action
annoncer des projets
organiser les prochaines activités
négocier les rôles
(apprendre le vigenère)
Dîner de patrouille dîner
discuter les affaires de la patrouille et de la troupe
discuter entre copains
faire mieux connaissance
Réunion de préparation du camp d’été dîner
parler du camp de Pâques
préparer le camp d’été
faire un plan des installations
chercher des idées pour la veillée
chercher des idées pour le concu

Cette description nous permet de tirer les conclusions suivantes : les réunions scoutes ne sont pas uniformes ; il y a différents types de réunion au cours de l’année. Avec les types d’interaction changent, en partie, les activités interactionnelles. Néanmoins, les deux activités les plus caractéristiques, dîner et discuter les affaires de la patrouille, reviennent régulièrement à chaque réunion. En outre, d’une année sur l’autre, les mêmes activités interactionnelles s’inscrivent dans le même type de réunion et se répètent donc chaque année au même moment. Malgré la diversité des sujets abordés et des activités interactionnelles, les réunions scoutes montrent donc une régularité et des schémas constants.

Notes
102.

Voir chapitre 1, L’importance du type d’interaction.

103.

Pour l’analyse du syntagme « t’as raison » voir chapitre 6, Refuser des propositions.

104.

Voir chapitre 4, Les différents comportements discursifs.