Chapitre 3. Le corpus

Le choix du groupe

Avant que mon objectif de recherche n’ait été fixé définitivement, une des mes premières démarches a été de rechercher un groupe de jeunes qui m’autorise à établir mon corpus. Cette chronologie m’a paru logique et justifiée étant donné l’importance des données et la démarche inductive de mon approche méthodologique. Pour pouvoir analyser les interactions verbales d’un groupe de jeunes, il fallait trouver un groupe qui discute d’une manière suffisamment compréhensible pour être enregistré. Spontanément, j’ai pensé aux rassemblements de jeunes au sein d’une paroisse que j’avais moi-même connus pendant mon enfance. Grâce à mes recherches sur internet, j’ai découvert le programme pour les jeunes organisé par une grande paroisse lyonnaise : c’était une troupe des Scouts Unitaires de France (SUF).105

Il a tout de suite été très facile de prendre contact avec les scouts. Quand j’ai parlé la première fois au responsable de la troupe, il m’a tout de suite invitée à passer le prochain week-end de troupe avec eux. Ainsi, j’ai été accueillie les bras ouverts sans avoir de connaissances du scoutisme et même sans pouvoir leur donner des informations plus précises si ce n’est que je voulais faire une thèse en linguistique et que j’avais besoin d’un corpus. Cette information très vague l’était davantage plus pour des jeunes qui n’avaient bien sûr jamais fait de linguistique. Néanmoins, l’accueil fut très chaleureux et la prise de contact facile.

Parallèlement, par prudence, c’est-à-dire pour avoir une deuxième piste, je m’étais renseignée au centre social de mon quartier pour savoir s’il n’y avait pas moyen de travailler avec les jeunes du centre. L’accueil par le responsable a été aussi chaleureux et bienveillant que chez les scouts, mais, malheureusement, dès les premières rencontres et surtout après les premiers enregistrements faits avec eux, plusieurs problèmes sont apparus : beaucoup de jeunes avaient des problèmes scolaires, la situation d’enregistrement les mettait tout de suite mal à l’aise et ils arrêtaient de parler. Il m’était impossible de me mêler à eux d’une façon discrète et qui aurait permis que la situation et les discussions restent authentiques. De plus, en tant qu’étrangère, j’avais de réelles difficultés pour comprendre une langue qui mêlaient souvent de l’argot et des mots arabes. Cette expérience m’a confortée dans l’idée que le travail auprès des scouts pouvait être plus facilement réalisable.

D’abord, les scouts étaient plus curieux et accueillants qu’effrayés par ma présence. Leur bon niveau scolaire et leur confiance en eux leur permettaient de ne pas être intimidés face à l’appareil d’enregistrement. Ensuite, comme les scouts sont issus d’un milieu social aisé et bourgeois, ils parlent un français plutôt standard qui contient certes des expressions familières ou populaires, mais qui est compréhensible pour une personne extérieure.

Comme la transcription des interactions entre plusieurs jeunes constitue un défi important, il fallait que je découvre leur monde et que je me familiarise le plus rapidement possible avec leurs traditions scoutes afin de comprendre le contexte et de suivre leurs conversations. Pour cela, j’ai passé, sur deux ans, le plus de temps possible avec eux : j’ai assisté à tous les week-ends de troupe et à toutes les réunions de « ma » patrouille. De plus, je leur ai rendu visite lors de leur camp de Pâques et deux fois pendant le camp d’été. Etant donné que les activités essentielles des scouts au cours de l’année se passent dans la nature et que les réunions ne servent qu’à les préparer et à les organiser, il est indispensable d’avoir vu et vécu ce dont ils parlent pendant leurs réunions. Sans mon observation participante qui s’est vite transformée en « participation observante »106, la transcription des données n’aurait jamais été possible.

Notes
105.

Voir chapitre 2.

106.

Pour la problématique du « paradoxe de l’observateur », voir Labov (1976), et pour une description détaillée des problèmes et des exigences au moment de la constitution des données, voir Deppermann (2001 : 21-30).