Le moment de l’enregistrement

Les données ont été enregistrées pendant les réunions de patrouille. Au cours de ma participation, j’ai assisté à quatre réunions la première année et à trois réunions la seconde année. La dernière réunion de la première année n’a pas été transcrite car elle n’apportait pas de connaissances nouvelles pour l’analyse, et en la laissant de côté, l’analyse peut s’appuyer sur un équilibre de trois réunions pour chaque année.

La décision d’enregistrer les réunions – et non d’autres activités – a été prise surtout pour des raisons pratiques et techniques. Ce n’est que pendant les réunions que les scouts se retrouvent dans un groupe restreint – qui compte déjà jusqu’à huit personnes. Transcrire une conversation non filmée à laquelle participent encore plus de personnes crée des difficultés : plus le groupe est nombreux, plus les locuteurs se battent pour leur tour de parole, plus ils parlent vite et ont tendance à mener plusieurs discussions en même temps et plus la reconnaissance des voix devient problématique. D’après mon expérience, huit scouts qui discutent ensemble me paraît être le nombre maximal. Bien que le groupe, les sujets de conversation et le déroulement des rencontres me soient devenus beaucoup plus familiers la deuxième année, le nombre plus élevé de garçons a rendu les transcriptions plus difficiles, notamment en ce qui concerne la reconnaissance des voix, à cause des chevauchements et des conversations parallèles.

Un autre grand avantage de la réunion est le fait que les scouts s’y retrouvent « entre eux », c’est-à-dire sans chef. Il s’agit donc des interactions verbales de jeunes, âgés de 13 à 16 ans, indépendamment des adultes. Les quelques fois où les chefs de troupe ou les parents sont passés lors des réunions, le comportement des garçons s’est en fait modifié.111

Enfin, la réunion semblait être le moment où les participants étaient le mieux disposés pour un enregistrement. Les scouts communiquent évidemment aussi pendant leurs activités à l’extérieur. Mais l’intérêt principal de leurs activités consiste plutôt à bricoler ou à faire des jeux divers. Pendant ces activités, ils se dispersent et les interactions verbales ne consistent qu’en des fragments, difficiles à recueillir par un enregistrement exclusivement auditif.

Un jour, j’ai demandé à un membre du groupe, qui était particulièrement à l’aise avec les enregistrements, de porter le dictaphone dans sa poche et d’attacher le micro à sa veste pendant un petit raid en patrouille lors d’un week-end de troupe. Malheureusement, l’enregistrement n’a pu être utilisé pour l’étude, car le microphone n’avait enregistré que la voix de celui qui le portait sur lui. Comme les garçons n’arrêtent pas de bouger et de changer d’endroit, il aurait fallu équiper chacun avec un micro pour avoir des données complètes. Mais cela aurait trop attiré l’attention sur l’enregistrement et j’aurais pris le risque d’intimider et de déranger les garçons, ce que je voulais éviter avant tout. L’enjeu était de trouver l’équilibre entre la meilleure façon de recueillir les données et la façon la plus discrète de le faire afin de ne pas troubler le cours normal des activités.

Le seul enregistrement réussi à l’extérieur a été fait pendant la préparation du dîner lors d’un week-end de troupe. Et encore, les données recèlent les difficultés que je viens d’évoquer : on n’entend pas plus de quatre personnes, et comme il y a un constant va-et-vient, le déroulement de l’interaction est beaucoup plus difficile à suivre que lors d’un repas autour d’une table. Cette partie a pourtant été transcrite et incluse dans l’analyse où elle ne joue qu’un rôle secondaire, non seulement parce qu’elle ne dure que trois minutes, mais aussi parce que les conditions d’un week-end de troupe ne correspondent pas à celles d’une réunion, ce qui rend une comparaison des données problématique. Les deux tentatives d’enregistrer le groupe dans la nature au cours d’autres activités n’ont donc apporté qu’une forme d’expérience technique et des informations additionnelles.

Notes
111.

Voir chapitre 6, Le caractère relatif d’un rôle social.