Stratégies d’identification

L’identification explicite

Parmi les quatre stratégies d’identification que j’analyserai dans ce qui suit, la première et la plus évidente est celle que j’appellerais l’identification explicite. Les scouts se définissent en tant que tels par des formulations du type « nous les scouts », ou « nous on est scout ». C’est une façon, non seulement d’exprimer la conscience de sa propre identité scoute, mais aussi de se démarquer vis-à-vis des autres. En utilisant le pluriel, le scout inclut les autres membres autour de lui et insiste sur leur identité commune. Dans l’extrait suivant, c’est une forme d’adresse qui poursuit la même stratégie :

Extrait n°1 (23-4-2004 : l. 2011) :

1 M : c’est une définition de la saleté quand même (.) quand tu vois ce que les scouts ce que tu bouffes au camp tu vois au niveau de la saleté là tu sais (…)

Contrairement à ce que nous venons de voir, Maxime n’emploie pas le pronom déictique de la première personne, mais le terme neutre « les scouts » pour désigner tout le groupe. Pourtant, il reprend la relative en remplaçant ce sujet par le pronom personnel de la deuxième personne du singulier, c’est-à-dire qu’il s’adresse directement à son interlocuteur. La reformulation est extrêmement importante en ce qui concerne le contenu du message : Maxime rappelle à la personne en face de lui qu’elle est concernée en tant que scout. Ainsi, son énoncé arrive bien à mettre l’accent sur leur identité commune. Il contient d’ailleurs des indices intéressants sur les caractéristiques scoutes : ceux-ci « bouffent » au lieu de manger et semblent résistants à la saleté. Ces traits correspondent à la simplicité scoute et complètent l’image du scout telle que l’analyse sémantique l’a dessinée.

Par ailleurs, les données contiennent un passage qui suggère que l’identité scoute est également liée à des signes extérieurs, comme les vêtements, et plus précisément l’uniforme scout. Le contexte est ici le suivant : Maxime, le CP, essaie d’imposer des pompes à Corentin qui est arrivé en retard ; celui-ci s’y oppose en présentant plusieurs excuses, notamment le fait qu’il ne porte pas son uniforme :

Extrait n°2 (23-4-2004 : l. 242-247) :

1 C : je suis en civil
2 M : non mais là je suis en scout euh
3 C : ah t’es en civil
4 M : en scout euh euh
5 G : t’as (…)
6 M : d’ailleurs euh tu peux me dire les les articles (.) le scout est (.) est scout à la maison

Leur dispute porte donc sur l’uniforme : est-il ou non indispensable pour qualifier quelqu’un de scout ? Tandis que Corentin oppose la tenue civile et la tenue scoute, Maxime, qui n’est pas non plus en uniforme, affirme que l’identité scoute ne dépend pas de l’uniforme. Afin de donner de la force à son argument, il s’appuie une fois de plus sur le règlement (6).

Mais l’argument de Corentin est intéressant, car il suggère qu’une personne possède au moins deux identités différentes. Le sentiment des scouts de posséder une identité scoute à côté d’autres identités correspond à la pluralité d’identités décrite par les sciences sociales (Keupp et al., 1999). Cette impression est confirmée par l’extrait suivant, même si le ton dominant est ironique :

Extrait n°3 (11-10-2003 : l. 1411-1418) :

1 C : attends ce qu’il voulait dire ce qu’il faut d’abord les les deux premières réunions il faut qu’on puisse euh (.) tu vois mieux se connaître déjà la patrouille
2 An: exactement
3 G : mais c’est bon on se connaît tous t’sais
4 An: il faut faire connaissance
5 C : non mais là on se connaît dans un cadre voilà mais comme en cadre scout
6 An: ah Grégory je le connais en cadre scout
7 G : (rit)
8 M : non euh c’est bon (.) c’est plus par rapport aux nouveaux je pense

L’expression clé dans cet extrait est le « cadre scout » (5). Celui-ci est évoqué afin de distinguer le milieu scout d’autres contextes. Comme Grégory et Anatole estiment qu’il n’est pas besoin de faire connaissance (3, 4), Corentin précise qu’il y a une nuance entre se connaître et se connaître en tant que scouts. Même si cette argumentation semble peu pertinente et si les scouts sont peu convaincus, le raisonnement de Corentin reste intéressant, car il insiste une fois de plus sur la particularité de l’identité scoute.