La valorisation du groupe

Dans la perspective du positionnement (Bucholtz, 1999), les interlocuteurs peuvent mettre en valeur leur propre groupe et ses exploits. Contrairement aux observations de Deppermann & Schmidt (2003) selon qui les groupes de jeunes préfèrent une valorisation implicite (implizite Selbstaufwertung, 2003 : 51), les scouts n’hésitent pas à exprimer la valorisation de leur patrouille ou de leur troupe explicitement. Cela se produit de plusieurs manières ; par exemple au sein de la patrouille qui est peut-être l’unité la plus importante, se définissant comme cellule de base de la troupe (SUF, 2000 : 44)115. Les scouts la mettent en valeur de la même façon qu’ils se réfèrent à leur identité scoute :

Extrait n°1 (16-5-2003 : l. 166-167) :

1 X : =bah nous on est la patrouille clean
2 Al: nous on est une extra patrouille oui

Premièrement, ils se réfèrent à la patrouille par le pronom personnel de la première personne du pluriel, comme nous l’avons déjà vu concernant leur façon de se désigner en tant que scouts.116 Ici, ils s’identifient à leur patrouille. En outre, ils mettent leur patrouille en valeur par des adjectifs qualificatifs expressifs et favorables : « clean », « extra ». Et finalement, il est intéressant d’observer de quelle manière ils se rassurent mutuellement sur leur propre valeur.

Dans le même esprit, ils ne manquent pas de rassurer un nouvel arrivant en lui disant qu’il a adhéré à la bonne patrouille, comme dans l’extrait suivant :

Extrait n°2 (8-11-2002 : l. 867-868) :

1 M : =donc t’es dans la bonne patrouille toi
2 G : (sourit)

Ce qui est vrai pour la patrouille vaut également pour l’unité de la troupe. L’extrait suivant montre comment les scouts arrivent à valoriser leur propre troupe en la comparant à d’autres. Au moment où l’extrait a été enregistré, la patrouille regarde en compagnie de ses deux chefs les photos du camp qui montrent les installations qu’elle a réalisées, notamment le mât. Ces photos se trouvent publiées à côté de celles qui montrent les constructions d’autres troupes de scouts dans le magazine Woodcraft (n°174, octobre 2002).

Extrait n°3 (8-11-2002 : l. 2549-2564) :

1 R : vous avez vu le mât de Saint-Chamond là/
2 M : Ridicule
3 X : ah la levée du mât de Saint-Chamond oh là là
4 Al: le RIDICULE RIDICULE (.) le mieux c’est le nôtre quand même vachement tu vois là ils ont du mal
5 M : le truc d’amateurs
6 X : là fait avec deux bouts de bois
7 Al: (rit)
8 An: tu sais nous là nous notre la croix notre croix X que ça fait croix ça fait trop croix gammée là
9 Ma: mais non
10 M : mais NO:n
11 Al: il faut PAS t’sais
12 M : mais no:n
13 X : non quand même
14 Al: pas du tout
15 R : ah c’est sûr qu’on est tous devant alors on ne voit que ça
16 Al: on ne voit que ça mais c’est parfait

Cet extrait témoigne d’une manière limpide de l’interdépendance entre les stratégies de valorisation et de dévalorisation. Par une question rhétorique le chef invite les scouts de sa troupe à se moquer du mât hissé par la troupe de Saint-Chamond (1). La réaction des garçons exprime leur dépréciation, rendue par divers moyens langagiers. Tout d’abord, ils utilisent l’adjectif « ridicule » pour qualifier la construction des autres scouts. Pour insister encore, ils soulignent l’adjectif par une intonation très expressive et le répètent (2, 4). L’interjection « oh là là » (3) renforce leur jugement critique. De plus, ils trouvent d’autres images dévalorisantes pour caricaturer le mât : « truc d’amateur » (5) et critiquer sa construction et son apparence « fait avec deux bouts de bois » (6). Finalement, c’est par un rire que la dévalorisation s’achève.

En même temps, cette stratégie encourage les scouts à attirer l’attention sur leur propre valeur, mesurée par rapport aux autres (4). La défense de leurs exploits est d’autant plus vive lorsqu’un membre de la patrouille met en question leur mât (8). Cette critique qui vise leur propre groupe est immédiatement et vivement rejetée : moins par des arguments que par l’expression d’une grande indignation : des énoncés très brefs, très expressifs, sans aucune ambiguïté et pourtant répétés six fois (9-14). Seule une brève explication, qui n’approuve pas non plus la critique, mais qui essaie de la comprendre, aborde le contenu de celle-ci. Néanmoins, cette concession est rapidement balayée et commentée par « c’est parfait » (16). La discussion reprise dans cet extrait exprime clairement la conviction que les scouts ont de leur propre réussite : d’un côté, ils se félicitent implicitement en ridiculisant un autre groupe ; d’un autre côté, ils défendent avec énergie leurs propres exploits. Une valorisation de leur propre groupe enchaîne alors rapidement une dévalorisation d’un autre. Cet aspect sera approfondi dans un sous-chapitre qui discutera plus en détail le positionnement des scouts par rapport à d’autres groupes sociaux.

Je vais à présent montrer une autre forme de valorisation à travers la question de savoir dans quelle mesure les événements vécus ensemble par les scouts jouent dans la constitution de leur identité un rôle essentiel, en prenant place dans une forme de narration.

Notes
115.

Pour plus de détails sur le système de la patrouille voir chapitre 2, La patrouille.

116.

Voir plus haut dans ce chapitre 4, L’identification explicite.