L’exemple de la religion

La particularité du scoutisme français tient à ses racines religieuses, notamment catholiques.127 Le groupe des SUF auquel j’ai participé dépend d’une paroisse qui forme en quelque sorte le premier lien entre ses membres. Par conséquent, toutes les familles des scouts ont un rapport avec l’église catholique de sorte que l’on peut présupposer que tous les scouts sont pratiquants. De plus, la foi catholique est le fondement de la loi et des principes scouts et comme l’analyse sémantique l’a montré, la signification du mot scout est étroitement liée au règlement scout. Par conséquent, parler de religion signifie à la fois suivre et respecter le règlement ainsi qu’exprimer son identité.

Pour répondre à la question de l’importance des références religieuses dans les interactions, je commencerai par analyser un extrait dans lequel cette question est évoquée implicitement. Les garçons sont en train d’envisager la possibilité d’intégrer un correspondant étranger dans le groupe :

Extrait n°1 (16-5-2003 : l. 482-511) :

1 An: moi moi va y avoir aussi là t’sais j’sais pas pendant quinze je vais vraiment rien pouvoir faire parce que je vais recevoir un rosbif
2 X : tu fais du foot c’est ça/
3 M : un quoi/
4 An: un rosbif
5 Al: quand t’as
6 M : un rosbif/
7   [rires]
8 M : faudra que tu nous le présentes (.)
9 X : ah oui trop
10 M : c’est rigolo
11   [rires]
12 Al: c’est quand franchement
13 M : il est cool ou pas/
14 An: oui mais bon
15 Al: c c’est quand/
16 An: là j’ai un peu les boules parce qu’il est athée donc voilà quoi
17 Al: ah bah ne t’en fais pas on fait pas trop on parle pas trop religion en réunion quoi il pourrait nous aider ça nous fait un mec de plus quoi ( rit )
18 M : il est athée/
19 An: quoi/
20 M : ça te gêne qu’il soit athée/
21 X : tu t’en fous qu’il soit athée
22 An: NON mais je veux dire j’sais pas emmener aux scouts voilà quoi
23 Al: t’sais y a pas mal de scouts qui sont athées
24 M : athée
25 Al: peut-être pas dans notre troupe
26 M : athée (.) c’est un grand mot quand même
27 Al: t’en as rien à foutre quoi
28 X : oui c’est clair
29 M : oui (…)
30 Al: ça dérange pas quoi il peut venir

Cet extrait nous indique deux pistes. La première est le simple constat explicite prononcé à la ligne 17 : « on parle pas trop religion en réunion ». Malgré les principes et les origines du mouvement, la religion ne joue qu’un rôle très secondaire pendant les réunions, en l’absence des chefs. Cette déclaration est d’autant plus significative qu’elle est exprimée par le CP.

La deuxième piste se réfère à l’attribut par lequel Anatole désigne son correspondant : « athée ». Il peut être considéré comme le mot-clé de cet extrait. Cette caractérisation est censée exclure la personne en question ; dans la même intention, Anatole l’appelle au début « rosbif » (1). Le fait que son ami anglais soit athée sert à Anatole de prétexte pour ne pas participer aux activités scoutes pendant le séjour du correspondant. La réaction des autres scouts ne répond pourtant pas aux attentes d’Anatole. D’un côté, l’importance de la religion en réunion est minimisée (17), et de l’autre, le mot athée n’est pas interprété comme Anatole le prévoyait, c’est-à-dire comme un antonyme du mot scout. La patrouille rejette à l’unanimité l’argument selon lequel une personne athée doit être exclue du monde scout :

l.20 : « ça te gêne qu’il soit athée/ »

l.21 : « tu t’en fous qu’il soit athée »

l.23 : «  y a pas mal de scouts qui sont athées »

l.27 : « t’en as rien à foutre quoi »

l.30 : « ça dérange pas quoi il peut venir »

La fréquence avec laquelle le mot athée est prononcé mérite d’être soulignée. Dès sa première occurrence, il est répété et commenté par les autres garçons qui semblent étonnés et perplexes devant l’argumentation d’Anatole. Leur réaction s’explique également par le fait que ce raisonnement porte sur l’identité des scouts et leur attitude vis-à-vis de la religion. Par conséquent, les garçons s’appliquent à rectifier l’image de scouts trop rigides et intolérants tout en confirmant leur propre attachement à la religion (25). La question du rôle de la religion est visiblement intimement liée à la question de l’identité scoute. Nous pouvons donc conclure que les scouts insistent sur leur tolérance vis-à-vis des non-croyants. D’un autre côté, la question de savoir quel rôle joue la religion en réunion mérite d’être approfondie. Afin d’examiner de plus près l’influence réelle de la religion, je m’appuierai sur un élément concret : la prière. Elle constitue à des reprises un sujet de discussions.

Notes
127.

Pour un aperçu de l’histoire du scoutisme en France voir chapitre 2, L’évolution historique du mouvement en France.