L’exemple de la hiérarchie

Comme nous l’avons vu dans l’introduction au règlement des SUF, l’organisation des unités scoutes est déterminée par une hiérarchie rigide.133 D’un côté, la patrouille est supervisée par les chefs qui forment ensemble la maîtrise ; de l’autre, la patrouille elle-même est structurée de manière hiérarchique avec le CP (chef de patrouille) et le SP (Second) à la tête de la patrouille. La question qui se pose alors est de savoir comment cette hiérarchie s’exprime dans l’interaction : à quel point est-elle présente dans les interactions verbales, comment s’y manifeste-t-elle et dans quel sens les influence-t-elle ? Avant de pouvoir répondre à ces questions, il me semble indispensable de définir la signification de la hiérarchie dans un contexte linguistique.

Plusieurs études ont pu montrer que les structures hiérarchiques possèdent une importance interactionnelle. En analysant l’influence de la hiérarchie sur des groupes de travail, Schmitt et Heidtmann (2002) observent par exemple que la hiérarchie fonctionne comme un point de repère essentiel pour les participants. Par conséquent, elle est reproduite d’une manière permanente en interaction. Même si Schmitt (2002 : 131) souligne ailleurs la marge de manœuvre que toute structure donnée laisse aux négociations, la hiérarchie semble être un facteur indispensable si l’on veut expliquer les différences de comportement en interaction verbale, notamment dans des contextes institutionnels.

Néanmoins, Brock et Meer (2004 : 189) déplorent un manque d’approches méthodologiques en analyse de conversation qui permettraient de décrire le rapport entre comportement communicatif et hiérarchie institutionnelle. Dans ce but, ils proposent une définition linguistique des termes pouvoir, hiérarchie, domination et a-/symétrie. En ce qui concerne la notion de hiérarchie, ils constatent que cette catégorie est surtout employée pour désigner le contexteinstitutionnel et moins des facteurs de communication. En revanche, le terme asymétrie serait, selon les auteurs, plutôt utilisé dans le but de décrire différents com­portements communicatifs (Brock & Meer, 2004 : 188-189). Une structure institutionnelle qui impose une hiérarchie est donc la base des asymétries communicatives.

En s’appuyant sur un entretien d’examen entre un professeur d’université et son étudiante, Brock et Meer peuvent démontrer que le droit de parole n’est pas strictement lié à la hiérarchie mais dépend plutôt de la situation contextuelle. Malgré son rang inférieur dans la hiérarchie sociale, l’étudiante a tendance à réclamer le droit de parole. Ce comportement s’explique par la situation de l’examen qui demande à l’étudiante de prendre l’initiative. En conséquence, afin de pouvoir parler de hiérarchie dans un contexte linguistique, les auteurs de l’étude plaident pour un double emploi du terme : d’un côté, ce terme décrit l’organigramme institutionnel et, de l’autre, il se réfère aux conséquences des différences de rang social qui doivent être précisées d’une façon systématique à partir des observations détaillées sur la base des analyses de conversation (2004 : 202). Sous ce deuxième aspect, la hiérarchie désigne l’asymétrie linguistique.

Dans cette perspective, j’examinerai les indices explicites et implicites que l’on trouve dans les interactions des scouts et qui sont liés au système hiérarchique. Allant bien au-delà du droit de parole, la hiérarchie s’exprime en fait sur plusieurs nivaux et sous divers aspects. Je commencerai par analyser des extraits dans lesquels le système hiérarchique est thématisé. Ensuite, j’étudierai l’impact des différents rôles sur le comportement discursif stricto sensu. Pour finir, je montrerai de quelle façon les scouts se réfèrent à leurs chefs de troupe, qui se situent au-dessus de toute la patrouille. En dehors d’une description des interactions scoutes, l’analyse nous permettra de tirer quelques conclusions sur l’emploi de la notion de hiérarchie en analyse de conversation.

Notes
133.

Voir chapitre 2, La structure.