Conclusion

L’objectif de ce chapitre était de décrire le style communicatif du point de vue de l’identité du groupe. La question de l’identité a été abordée sous trois perspectives différentes : une analyse sémantique du mot scout, une analyse des stratégies d’identification et une troisième analyse qui cherchait à montrer le rapport entre les interactions et le contexte social.

Mon étude commençait par une analyse sémantique du mot scout, car il me semblait essentiel, au début, d’examiner la signification que les garçons attribuent à ce mot afin de comprendre ce à quoi ils s’identifient. En effet, les données regorgent de formulations qui visent à expliquer la signification du mot scout ou qui insistent sur l’identité scoute. Souvent, le cadre scout sert de référence dans la mesure où les scouts citent des extraits du règlement ou se réfèrent à des caractéristiques du mouvement en employant par exemple l’adjectif scout comme synonyme de simple (SUF, 2000 : 8). Le résultat essentiel de l’étude sémantique reste l’observation que la signification de scout et, par conséquent, l’identité scoute des garçons, ont beau être déterminées par le contexte social, elles sont loin d’être une chose donnée ou décidée par avance. Conformément au caractère dynamique de toute identité, elle est négociée au cours des interactions.

Le sens du deuxième sous-chapitre résulte de ce processus dynamique. Dans la mesure où une analyse de l’identité cherche à discerner les stratégies langagières grâce auxquelles émerge l’identité (Deppermann & Schmidt, 2003), cinq stratégies d’identification essentielles ont pu être mises en évidence qui garantissent la conscience de l’identité scoute : l’identification explicite avec le mouvement, la valorisation du groupe, la narration de vieilles histoires, la pression du groupe et, finalement le positionnement par rapport à d’autres groupes sociaux. Dans ce qui suit, je résumerai brièvement la manifestation langagière de ces stratégies.

Afin de s’identifier explicitement, les garçons se désignent en tant que scouts (nous les scouts) et insistent sur leurs caractéristiques scoutes, intérieures (p.ex. la simplicité) comme extérieures (p.ex. l’uniforme). Ce qui est particulièrement intéressant, c’est que les scouts ont conscience du caractère éphémère et partiel de leur identité scoute qu’ils éprouvent seulement comme une identité parmi d’autres (en civil – en scout).

La mise en valeur de leur groupe s’exprime par un lexique positif et expressif (clean, extra, c’est parfait). De surcroît, ils se vantent de leurs exploits et racontent de vieilles histoires sur leurs aventures communes. Grâce à l’emploi des caractéristiques d’une langue de proximité (Nähesprache, Koch & Österreicher, 1990), les scouts rendent ces incidents très vivants. Néanmoins, ces anecdotes ont surtout un caractère phatique (Löffler, 1994). Les histoires essaient de cacher d’éventuels échecs et mettent l’accent sur des aspects valorisants : malgré plusieurs indices langagiers qui trahissent leur manque d’assurance et leur timidité devant l’autre sexe (un rythme staccato, un grand nombre de répétitions, de marqueurs et de formulations exprimant une distance), les scouts arrivent finalement à affirmer leur supériorité vis-à-vis des filles. Ainsi une valorisation de son propre groupe entraîne facilement une dévalorisation d’autres groupes. Celle-ci peut aussi s’exprimer de façon explicite par des interjections (oh là là) ou des images dévalorisantes (trucs d’amateur).

Le processus de valorisation et dévalorisation est constitutif du positionnement social, un phénomène qui a été décrit pour d’autres groupes de jeunes dans le contexte de l’identité (Deppermann & Schmidt, 2003). Si les scouts sont fiers de montrer leurs liens avec des gens qu’ils valorisent, ils évitent en revanche soigneusement d’évoquer tout point commun avec ceux qu’ils méprisent. Cette dévalorisation s’exprime d’abord sur un plan lexical : par l’emploi de simples adjectifs qualificatifs (ridicule) et, plus souvent, par des formulations plus expressives (foutre la honte à Marseille).

La stratégie qui consiste à se référer à des stéréotypes permet aux scouts de rester à un niveau de généralité qui garantit une certaine distance. Ainsi ils parlent des cailles, des Arabes, des blacks sans préciser de qui ils parlent exactement. L’objectif consiste à critiquer et à se démarquer : afin de souligner les différences, les scouts imitent l’intonation et les formulations attribuées au ghetto code (Auer & Dirim, 2003) des jeunes issus de l’immigration et se montrent soucieux de souligner que eux (les autres) et nous (les scouts) n’habitent pas les mêmes quartiers. En revanche, lorsqu’ils parlent du milieu social aisé dont ils se sentent proches les scouts emploient des formulations presque « solennelles », du moins tirées d’un registre trop officiel pour un groupe de jeunes (droit de scout).

Dans la perspective du positionnement, les scouts ne tolèrent pas qu’un membre de leur patrouille prenne ses distances. Tout manque de motivation est sanctionné par une pression du groupe. Celui qui se détache de la patrouille se voit alors isolé face au groupe, isolement marqué d’un côté par l’emploi des pronoms personnels (tu – nous) et, de l’autre, par la façon dont les autres membres dominent l’interaction et empêchent la personne isolée de se défendre. Bien que le groupe exprime quelques reproches, la pression est moins assurée par le contenu des énoncés que par l’énergie et l’expressivité avec lesquelles les scouts insistent sur la cohésion de groupe et sur la priorité à donner au scoutisme.

Etant donné que « youth identities cannot be understood outside their particular socio-cultural context » (Androutsopoulos & Georgakopoulou, 2003 : 3), une analyse de l’identité doit prendre en considération le contexte social. Le troisième sous-chapitre a ainsi examiné l’influence du contexte social sur les interactions verbales en prenant l’exemple de la religion et de la hiérarchie. La discussion des principes fondamentaux du scoutisme contribue à exprimer l’identité scoute. En ce qui concerne la religion, par exemple, les scouts débattent d’une façon engagée autant l’importance d’être croyant et la place de la prière au cours des réunions que la possibilité d’intégrer une personne athée dans leur groupe. De surcroît, les garçons emploient des formules religieuses comme amen et d’autres éléments d’un vocabulaire religieux tels que paysan de France, bénédicité, grâce.

La hiérarchie est également un sujet de conversation : les scouts discutent de leur rang respectif et du principe de supériorité. Surtout, le système hiérarchique influe sur le comportement communicatif des scouts. L’analyse a montré, par exemple, comment les scouts adaptent leur comportement discursif en fonction de leur place dans la patrouille. Ceux qui occupent un rang supérieur revendiquent souvent le droit de parole, s’imposent aux autres par des ordres ou des menaces et dominent la conversation. De leur côté, les scouts de rang inférieur essaient de se faire reconnaître et de minimiser l’écart entre les rangs. Entre le supérieur et les autres s’intercale le rang du Second. Tout en ressemblant à celui du CP, le comportement communicatif du SP témoigne d’un style d’autant plus autoritaire qu’il manque en réalité d’assurance et dispose d’une influence limitée puisqu’il n’est que Second. Un autre comportement qui traduit la conscience de la hiérarchie sociale est la valorisation des chefs. La langue de proximité (Nähesprache, Koch & Österreicher, 1990), le discours rapporté, l’intonation expressive et les interjections assurent la vivacité d’une narration qui permet aux scouts de mettre en valeur les moments vécus avec les supérieurs. L’influence du système hiérarchique est une des caractéristiques les plus marquantes du parler scout dans la mesure où chaque scout doit défendre ou négocier son rang au cours de la réunion.140

En résumé, l’identité est une catégorie dynamique qui est créée au cours de l’interaction verbale (Antaki & Widdicombe, 1998). Dans la mesure où l’identité scoute n’est qu’une identité parmi d’autres, c’est une catégorie éphémère. Ces caractéristiques expliquent pourquoi l’identité fait l’objet de négociations (Kerbrat-Orecchioni, 2000). Le cadre extérieur, dont la hiérarchie, y joue un rôle prépondérant. Il fonctionne comme une référence et une justification au cours du processus de négociation. La patrouille forme un groupe cohérent dans la mesure où les scouts se mettent d’accord sur une interprétation de ce cadre et expriment les particularités de leur groupe. De cette façon, ils expriment leur identité.

Notes
140.

Je tiens à signaler que la question complexe du rôle communicatif sera approfondie du point de vue du profil interactionnel dans le chapitre 6. L’analyse dans le contexte de la hiérarchie se contente de montrer la manifestation d’une asymétrie linguistique qui résulte d’une hiérarchie sociale.