Formes discursives

La structure de l’énoncé

Jusqu’ici nous avons étudié des phénomènes isolés, je mettrai maintenant l’accent sur l’énoncé entier. Cette approche s’inscrit dans l’étude de la macro-syntaxe de la langue parlée.160 Le terme de macro-syntaxe désigne un niveau d’organisation qui va au-delà des catégories grammaticales et des fonctions syntaxiques traditionnelles ; il tient compte des structures particulières de la langue parlée (Blanche-Benveniste, 2000 : 111-113). L’unité centrale, autour de laquelle s’organisent les autres éléments, est le noyau. Ce noyau se caractérise par son autonomie intonative et sémantique.

En nous inspirant des travaux du GARS161 sur la macro-syntaxe, nous pouvons montrer comment la structure de l’énoncé suivant soutient l’introduction d’un sujet.

Extrait n°1 (17-1-2003 : l. 2276) :

1 M : j’sais pas ce que vous en pensez mais dans le dernier woodcraft là le le truc de quat- quatre cinquante bornes e:n en morse euh du mur du mur j’y crois pas vraiment

L’énoncé cherche à enclencher une discussion sur un article paru dans le magazine scout. Il peut être divisé en quatre unités :

(1)« j’sais pas ce que vous en pensez » :

Cette première partie qui correspond selon la terminologie du GARS à un associé (proche d’un complément de phrase) s’adresse explicitement aux interlocuteurs. Maxime attire l’attention des autres garçons par une question implicite qui annonce le nouveau sujet par le déictique en. Cet associé peut être considéré comme l’ouverture de l’énoncé. Il est suivi par un préfixe qui se divise en deux parties. Une première partie entre dans le sujet de la discussion, en précisant l’endroit :

(2) « mais dans le dernier woodcraft là »

Ensuite, dans la deuxième partie du préfixe, le sujet est précisé et développé grâce à des éléments disloqués :

(3) « le le truc de quat- quatre cinquante bornes e:n en morse euh du mur du mur »

Pour le sujet introduit, cette partie est essentielle, car elle enchaîne les éléments d’information de façon fragmentaire. Maxime ne donne qu’un minimum de détails sur le sujet. Les reformulations suggèrent qu’il n’envisage pas de donner de résumé précis de l’histoire et montrent l’impatience avec laquelle il attend les réactions des autres. La longue histoire commune des garçons explique pourquoi une allusion suffit souvent pour évoquer un sujet. Au niveau de la macro-syntaxe, cette unité ne constitue que le deuxième préfixe en forme d’élément disloqué à gauche qui sera repris par un pronom dans le noyau suivant :

(4) « j’y crois pas vraiment ».

Le noyau, l’unité centrale de la macro-syntaxe, est « la partie régie par le verbe qui porte l’information essentielle » (Blanche-Benveniste, 2000 : 116). Par conséquent, l’accent est mis sur cette dernière partie de l’énoncé. Pour l’introduction du sujet cela signifie que le locuteur, Maxime, insiste moins sur les circonstances entourant l’incident que sur sa volonté d’en discuter avec les autres. Pour cela, il donne son avis et, ce faisant, il invite les autres garçons à réagir. D’ailleurs, cet appel est déjà exprimé par l’associé au début de l’énoncé.

En résumé, l’analyse de la macro-syntaxe souligne que, outre les éléments particuliers, la structure même d’un énoncé peut exprimer l’activité discursive. Cet exemple montre également que, dans le contexte des réunions scoutes, il est moins important de donner beaucoup de détails que de susciter de l’intérêt et d’inviter les autres à donner leur avis. Comme les scouts discutent généralement de sujets plus ou moins connus par tous les membres de la patrouille, l’essentiel consiste à exprimer ses intentions communicatives.

Notes
160.

Voir par exemple Berendonner (1990) ou Blanche-Benveniste et al. (1990).

161.

Groupe Aixois de Recherches en Syntaxe.