Le verbe pouvoir

Faire une proposition en employant le verbe pouvoir paraît moins personnel, car sauf quelques exceptions, il est toujours utilisé à la troisième personne du singulier, le sujet étant la plupart du temps le pronom personnel indéfini on, sinon le pronom démonstratif ça. Ceci n’est guère surprenant puisque la plupart des propositions s’adresse au groupe. Le verbe peut être employé soit au présent de l’indicatif soit au conditionnel selon l’attitude du locuteur envers sa proposition.166 Le mode indicatif est utilisé pour faire une proposition concrète, son emploi est plus fréquent.167

Les énoncés suivants sont prononcés lors de la discussion sur le plan des installations pour le prochain camp. Au cours de cette même activité interactionnelle, l’emploi des deux modes permet d’exprimer des nuances. Dans le premier exemple, la simple présence du verbe pouvoir marque une subtilité.

Extrait n°1 (16-5-2003 : l. 1096) :

1 M : on fait genre on peut faire genre lit superposé en superposé

Maxime reformule son énoncé et ajoute le semi-auxiliaire. Cette reprise modifie le caractère de sa proposition. « on peut faire » est une formulation plus prudente et discrète que « on fait ». Cette petite réserve est soulignée par l’expression « genre » qui rend son idée moins concrète. Grâce au semi-auxiliaire, l’énoncé ressemble donc plus à un performatif qu’à une simple constatation.168 C’est dans ce sens que la formule on peut faire est employée dans l’extrait suivant :

Extrait n°2 (16-5-2003 : l. 1151) :

1 M : autrement autrement on peut faire une échelle genre superposée mais raide

Dans ce cas, la tournure « on peut » exprime certainement une possibilité, mais elle est employée dans le sens de « je propose de faire ». Les marqueurs de transition « autrement autrement » qui ouvrent l’énoncé soulignent d’ailleurs la similarité entre cette activité discursive et celle visant à introduire un nouvel aspect thématique. Dans le contexte des propositions il est également important d’exprimer la transition entre les suggestions.

En ce qui concerne la valeur sémantique du verbe pouvoir, il n’y a que quelques cas où la signification de « on peut » se limite à exprimer la possibilité, par exemple :

Extrait n°3 (16-5-2003 : l. 870) :

1 Al: de toute façon on peut pas faire grand

Cet énoncé n’exprime pas tant une proposition (de faire petit), qu’elle ne décrit la possibilité limitée des scouts. Le verbe pouvoir garde donc son sens propre d’être capable. Dans plus de quatre-vingt pourcent de nos exemples, la formule « on peut » annonce pourtant une proposition.

L’emploi du conditionnel est plus varié et comprend plusieurs fonctions dans le discours, outre celle de faire une proposition. Lorsqu’il exprime une proposition, l’énonciateur souligne le caractère du possible, le fait qu’il ne s’agit que d’une possibilité parmi d’autres :

Extrait n°4 (16-5-2003 : l. 2389) :

1 Al: NON parce que si on met la clé ici là (.) ce qu’on pourrait faire c’est tout fermer il y a juste la place pour les échelles tu vois ça fait vraiment des des espaces carrément diffé- carrément fermés

La nuance entre les deux modes est certainement très fine, mais selon la situation, le conditionnel peut être préféré afin d’exprimer un manque de certitude (chez les plus jeunes membres) ou un certain tact de la part du locuteur qui ne veut pas imposer ses idées aux autres, donc une forme de politesse. Souvent, le conditionnel est également employé pour juger une proposition précédente ou bien décrire et expliciter des idées :

Extrait n°5 (16-5-2003 : 1186) :

1 Al: ça pourrait être bon quoi (.) tu sais y a une seule entrée bon quand on pourrait faire la grasse mais (.) oui un truc vraiment bien vraiment compact presque petit village euh

Dans ces cas-là, le conditionnel marque une distance et se réfère plus aux réflexions et au développement des idées.

Notes
166.

Cette nuance entre l’emploi du présent de l’indicatif et l’emploi du conditionnel est évidemment la même quel que soit le verbe, voir l’exemple plus haut « j’aurais une idée ».

167.

Au cours de la réunion du 16 mai par exemple, j’ai compté 48 « on peut », et seulement 21 « on pourrait ».

168.

Néanmoins, comme l’a montré Meier (2002 : 163-200), et l’acte illocutoire et l’assertion (c’est-à-dire la constatation) peuvent exprimer des propositions.