Persuader

Quelques activités interactionnelles, comme distribuer les postes d’action ou imposer des pompes, peuvent déclencher des processus pendant lesquels un locuteur essaie de persuader ses interlocuteurs. En m’appuyant sur Charaudeau qui précise le rôle de la persuasion dans l’analyse du discours, je définis l’activité discursive de la façon suivante :

‘communiquer, expliquer et faire partager le point de vue qui s’y exprime [dans le discours] et les mots qui le disent. (2002 : 429)’

Persuader a donc pour but d’imposer son opinion ou son idée et d’amener l’interlocuteur à agir.171 Afin de faire adopter une idée, il faut persuader les autres en en vantant les avantages et les aspects positifs. Cette activité a donc aussi lieu pendant les réunions scoutes. Même si la plupart des propositions faites au cours d’une réunion scoute sont généralement dans l’intérêt de tout le groupe, cela ne suffit pas pour faire accepter toutes sortes d’idées. Au moment où une personne doit défendre une idée, elle emploiera donc des stratégies persuasives.

Dans sa description des réunions, Meier ne parle pas de persuader mais de discuter et argumenter 172 . A partir de ces deux activités, il décrit les façons d’agir d’un locuteur lors d’une situation d’interaction en groupe lorsque ce locuteur voit sa proposition refusée, donc les mesures pour soutenir une proposition. Dans ce cas-là, le locuteur peut par exemple s’adresser à un troisième participant. S’il trouve du soutien auprès de celui-ci, il peut en profiter pour former une alliance. Si ce schéma de comportement peut également s’observer chez les scouts, il n’est ni fréquent ni très apparent. Toutefois, la deuxième manière d’agir que décrit Meier est encore plus étrangère aux interactions verbales des scouts. Meier observe que les participants à une réunion réalisent leur interaction de façon objective en se tenant aux faits (2002 : 273). Selon lui, ils y arrivent en adoptant les stratégies suivantes : en présentant de très courts résumés des faits et en reliant ces résumés à des contextes argumentatifs plus larges, sans chercher à plaisanter, mais en se collant aux faits.

Parler de discuter et argumenter implique en effet un échange appuyé sur le contenu. Néanmoins, comme je l’ai déjà indiqué plus haut, les scouts ne cherchent pas à se convaincre mutuellement en présentant les meilleurs arguments, mais surtout à s’imposer dans le groupe. Par conséquent, l’échange d’arguments qui se réfèrent au contexte est plus rare. Cela s’explique par le fait que les scouts ne sont pas obligés de se mettre d’accord ou de prendre des décisions à la fin de leur réunion. La priorité de leur rencontre est accordée à la convivialité.

Pourtant, il y a des désaccords qui sont à l’origine des stratégies de persuasion et de refus. Comme nous allons le voir, les échanges sont déterminés par le refus de céder des deux côtés. Comme, souvent, le CP essaie de s’imposer et les autres scouts refusent de se soumettre, il faut supposer que, implicitement, la hiérarchie sociale influe sur le contexte de la persuasion.

Outre des arguments qui jouent malgré tout un rôle important dans ce contexte, les scouts ont recours à des moyens langagiers et expressifs afin de s’imposer. Une partie des phénomènes discursifs employés dans ce contexte ressemblent à ceux que nous avons déjà vus lors de l’analyse d’autres activités langagières : l’emploi des marqueurs, la répétition et le fait de s’adresser à une personne précise.

D’abord, j’aborderai les formes linguistiques récurrentes et d’autres phénomènes qui caractérisent les stratégies de persuasion de manière générale. Puis, je m’appuierai sur deux passages d’activités interactionnelles pendant lesquelles un locuteur, à chaque fois le CP, essaie de persuader ses interlocuteurs. Ensuite, je mettrai l’accent sur les réactions des interlocuteurs : plus ceux-ci s’opposent, plus les stratégies de persuasion gagnent en importance. L’enchaînement des stratégies persuasives et des réponses permettra enfin de préciser le rapport entre l’activité discursive et l’activité interactionnelle.

Notes
171.

Je n’emploie pas les verbes convaincre et persuader comme des synonymes, malgré leur grande concordance sémantique : tandis que convaincre vise à « amener à reconnaître la vérité d’une proposition ou d’un fait » (Petit Robert), persuader essaie d’abord d’amener l’interlocuteur à agir et relève moins d’une démarche intellectuelle que la conviction. Il est parfaitement possible de persuader un interlocuteur de faire quelque chose sans que celui-ci en soit convaincu. Dans le contexte scout, je préfère parler de persuasion, car il est moins question de conviction intellectuelle que de la volonté de faire agir.

172.

C’est moi qui traduis : « diskutieren und argumentieren », 2002: 201-227.