Les coalitions

Les stratégies de persuasion entraînent la constitution de coalitions. Dans leur étude sur les coalitions dans des polylogues, Bruxelles et Kerbrat-Orecchioni (2004) proposent pour ce terme les définitions suivantes :

‘(1) A coalition pertains to the level of interpersonal relationship.
(2) A coalition is carried out against another person or team. (2004: 76).’

Dans le contexte de la persuasion, former une coalition permet aux locuteurs de mettre de la pression sur la personne visée. Par exemple, dans l’extrait suivant, les membres de la patrouille essaient de persuader Anatole de rester trois semaines entières au camp d’été. L’analyse montre les procédures grâce auxquelles la coalition formée par Alexandre, Maxime et Xochiel met la pression sur Anatole :

Extrait n°1 (16-5-2003 : l. 645-661) :

1 M : t’es scout (.) tu t’engages avec tu viens toute l’année si si tu ne viens pas au camp c’est con ça
2 Al : tu tu viens pas au camp/ pourquoi tu viens pas au camp\
3 An : non si je viens au camp mais peut-être je partirai une semaine en avance un truc comme ça parce que je je je je pars en vacances
4 Al : bah oui mais nous aussi on part tous en vacances
5 M : on part tous en vacances mais
6 Al: nor- normalement tu devrais
7 M : nous aussi ça nous nique nos vacances
8 An : je veux dire je je je p- je pp- je passe voir des potes que j’ai pas vus depuis longtemps
9 Al : non mais même c’est pas une raison t’sais les scouts
10 M : c’est partout pareil tu sais
11 X : c’est bon je suis aux scouts et tout
12 M : tu es scout t’sais t’es avec des potes
13 An : XXX ils sont pas dans le genre franchement
14 Al : non mais ça passera pas quoi
15 M : non mais c’est pas la question t’sais
16 Al : t’sais tes vacances tu les organises en fonction des scouts quoi t’as des scouts et puis=
17 M : =t’es inscrit aux scouts c’est d- (.) ça passe un peu en premier quoi

Pour atteindre leur objectif de persuasion, Maxime, Alexandre et Xochiel usent de deux stratégies. Premièrement, ils se soutiennent réciproquement dans leurs arguments : par exemple, Maxime reprend l’argument d’Alexandre et le répète (4, 5). Bruxelles et Kerbrat-Orecchioni appellent ce phénomène « the production of joint speech acts » (2004 : 80). Quelques énoncés plus tard, les trois garçons prennent à tour de rôle la parole pour protester contre l’énoncé d’Anatole et pour défendre le même point de vue (9-12). Ainsi ils réalisent ce que Bruxelles et Kerbrat-Orecchioni appellent « the production of co-oriented arguments » (2004 : 81). Ce schéma se répète après une nouvelle réaction d’Anatole qui est vivement contestée par une co-production d’Alexandre et de Maxime (14-17). Malgré quelques modifications, Maxime copie à chaque fois la structure et en partie le contenu de l’énoncé précédent d’Alexandre de sorte que ses énoncés ressemblent à des échos.

Deuxièmement, la coalition est exprimée par l’emploi des pronoms personnels : d’un côté, les trois scouts s’adressent à Anatole par le pronom de la deuxième personne du singulier tu, et de l’autre, eux-mêmes se désignent par le pronom de la première personne du pluriel nous (Bruxelles & Kerbrat-Orecchioni, 2004 : 81). Finalement, c’est grâce au système des tours de parole qu’Anatole se retrouve isolé. La rapidité avec laquelle les locuteurs formant la coalition s’auto-sélectionnent étouffe quasiment toute tentative de défense de la part d’Anatole. La co-production des énoncés à plusieurs voix renforce le caractère d’isolement et met Anatole dans une situation de minorité et en position de défense.

Après ce bref aperçu des phénomènes caractéristiques de cette activité discursive j’étudierai maintenant l’activité dans son contexte.