Attribuer le poste de reporter

Lors de la première réunion après la rentrée a lieu la distribution des postes d’action.174 Cependant, en octobre 2003, le CP a de grandes difficultés à trouver un candidat pour le poste de reporter. L’activité interactionnelle dure toute la première moitié de la réunion pendant laquelle le CP essaie de persuader les autres scouts et de leur imposer ce poste. Ses initiatives peuvent être considérées comme un fil rouge qui parcourt la discussion et qui atteste de la persévérance avec laquelle le CP défend son projet. Cette séquence dont j’analyserai la composition et le déroulement débute par la présentation du poste et se termine par la désignation de la personne qui l’occupera.175 Elle consiste en un certain nombre d’initiatives de la part de celui qui essaie de persuader, auxquelles réagissent ceux qui sont visés.

Comme si Maxime, le CP, s’attendait déjà à des objections, il introduit l’idée du poste de reporter par le marqueur le plus utilisé dans le contexte de persuasion, non mais, en ajoutant le marqueur phatique franchement :

Extrait n°1 (11-10-2003 : l . 232-237) :

1 M : non mais franchement cette année il faut quelqu’un qui fasse un rapport j’sais pas si
2 C : X
3 M : à chaque réunion (.) à chaque fin de réunion il il prend un cahier (.) et et il il raconte tout ce qu’il s’est passé
4 B : chez les louveteaux ça c’est des XXX
5 G : c’est Quilien Quilien oui
6 M : non sérieux sérieux

L’énoncé de Maxime va alors au-delà d’une introduction de sujet. En dehors des marqueurs, il souligne l’obligation du poste par le verbe falloir avant d’expliquer de quoi il s’agit (3). Au sens strict, la persuasion ne commence pourtant qu’après la réaction des autres à ce poste : aucun des scouts ne se propose de l’occuper, au contraire, ils essaient de s’esquiver : Benjamin détourne le sujet de conversation en parlant des louveteaux, et Grégory propose d’attribuer le poste à Quilien qui n’est pourtant pas encore arrivé à ce moment de la soirée. Face à ces réactions, Maxime doit tenter de les persuader d’accepter le poste.

Comment procède-t-il ? D’un côté, il réagit à des objections et à des arguments des autres scouts et de l’autre, il prend des initiatives grâce auxquelles il s’assure que le sujet n’est jamais complètement abandonné et exerce une pression sur tous ceux qui s’y opposent.

Je commencerai par analyser ses reprises du sujet, qui sont extrêmement fréquentes. Dès que la conversation s’éloigne trop, il essaie de reprendre la parole, ce qui n’est pas toujours facile :

Extrait n°2 (11-10-2003 : l. 588-603) :

1 M : voilà\ donc franchement=
2 Q : =moi je serais bien pour que c’est le deuxième troisième année qui s’en occupe
3 An: oui mais
4 Q : au moins cette année
5 M : non non
6 An: non non je suis contre
7 G : troisième quatrième année plutôt
8 M : non franchement
9 Q : pas deuxième quatrième année ()
10 G : ()
11 M : il faudrait vraiment quelqu’un
12 An: troisième année c’est pas mal
13 Q : bah c’est bon on va dire cinquième
14 An: le problème c’est qui
15 G : c’est bon ils sont trois
16 M : non franchement il faudrait quelqu’un qui qui s’occupe de de de ce de ce reporter oui (.) non à la limite même s’il y a deux personnes

Maxime doit s’y reprendre à cinq fois avant de pouvoir terminer son énoncé et évoquer le poste vacant (1, 5, 8, 11, 16). Sa première initiative consiste à clore le sujet dont ils viennent de discuter par le conclusif « voilà » et d’en introduire un autre par le marqueur de transition « donc » et le marqueur phatique d’insistance « franchement ». Son énoncé ne se compose donc que de marqueurs. Mais le changement de sujet ne s’opère pas tout de suite, les autres scouts continuent à débattre pour savoir qui s’occupera de la vaisselle lors du camp. Ils semblent ne pas avoir entendu la remarque de Maxime, du moins n’y prêtent-ils aucune attention. Ce qui est intéressant à noter, c’est qu’à la ligne 5, Maxime essaie de nouveau de changer de sujet, mais il n’arrive qu’à prononcer un « non non », et de surcroît, cet énoncé est mal interprété par les autres. Anatole le reprend (6) pour se référer à la proposition de Quilien (2). Apparemment, les autres ne se rendent pas compte de l’initiative de Maxime tellement ils sont pris par leur échange. L’emploi du marqueur phatique « franchement » (8) a aussi peu de succès que la tentative suivante à la ligne 11 où Maxime essaie de s’imposer par un chevauchement. Ce n’est donc qu’à la ligne 16 qu’il parvient à reprendre la parole et à terminer son énoncé.

Etant donné la difficulté qu’il y a à prendre la parole, il n’est guère étonnant que, à un autre moment, Maxime change de sujet au milieu même d’un énoncé afin de revenir au poste de reporter :

Extrait n°3 (11-10-2003 : l. 658) :

1 M : un foulard (.) pour Benjamin voilà bon ça non mais j’insiste sur le truc de reporter parce que

Après avoir clos le sujet précédent grâce au marqueur de clôture voilà, Maxime introduit son activité discursive par d’autres marqueurs, dont le marqueur d’opposition non mais, avant de revenir explicitement à son objectif de persuasion. La formulation « j’insiste » ne sert pas seulement à introduire le sujet, elle souligne en même temps l’insistance et l’engagement personnel de Maxime.

Les données témoignent aussi de tentatives ratées de relancer le sujet, comme dans l’extrait suivant :

Extrait n°4 (11-10-2003 : l. 529-539) :

1 M : et donc euh pour euh
2 C : équilibré et en forme
3 M : non mais franchement il faudrait quelqu’un pour (.) ce serait bien qu’il ait quelqu’un
4 B : on prend zéro pour-cent/
5 M : de faire un compte rendu
6 C : non mais des X quand même et tu les fais pas pizza crème euh
7 M : non mais XX
8 G : si
9 M : tu fais X scout quoi
10 C : un truc assez bon
11 M : des pâtes des des trucs comme ça quoi

Maxime essaie à quatre reprises d’évoquer le sujet. Il emploie des marqueurs (1, 3, 7) et des verbes qui expriment l’obligation comme falloir et la formule « ce serait bien » (3) et répète l’idée du poste (5). Mais les autres scouts refusent d’abandonner le sujet précédent (2, 4, 6). Par conséquent, le CP renonce à son projet et se mêle à leur discussion (9, 11).

Maxime ne se voit pas seulement confronté à des difficultés pour prendre la parole, il doit aussi convaincre les autres garçons. Pour cette raison, il introduit le sujet en s’appuyant sur divers arguments. Il y a d’abord l’argument général selon lequel le poste est une obligation et donc ne se discute pas :

Extrait n°5 (11-10-2003 : l. 468) :

1 M : oui autrement euh oui on disait on parlait en fait il faudrait quelqu’un pour euh pour tenir un un compte rendu de des activités qu’on fait

Le CP signale d’abord par des marqueurs qu’il va aborder un nouveau sujet. Puis, il ne manque pas de faire comprendre aux autres garçons que celui-ci a déjà été discuté plus tôt dans la soirée et formule ensuite son argumentation en s’appuyant sur le verbe falloir. D’un côté, il exprime une obligation, d’un autre côté, le verbe est employé au conditionnel ce qui atténue le caractère impératif.

Maxime emploie d’autres arguments qui dépendent du cadre scout ; par exemple, il fait allusion aux autres patrouilles qui ont déjà nommé un reporter :

Extrait n°6 (11-10-2003 : l. 662) :

1 M : non les autres patrouilles non mais franchement ils en ont fait (.) il y a les les sangliers qui sont déjà ils en ont y en a deux qui s’en occupent de le faire

Outre l’emploi constant de marqueurs, Maxime trouve un bon argument et signale que les autres patrouilles ont choisi leur reporter. Il cite notamment le cas de la patrouille des sangliers ce qui rend son argument encore plus crédible.

En général, les initiatives de persuasion deviennent de plus en plus directes et déterminées, comme par exemple dans l’énoncé suivant :

Extrait n°7 (11-10-2003 : l. 734) :

1 M : non mais je veux pas être obligé d’imposer le rôle de de reporter quoi

Les formes verbales à la première personne « je veux pas être obligé » (aussi « j’insiste » dans l’extrait n°3) sont employées afin de mettre la pression sur les autres garçons. Au cours de cette séquence de persuasion176, les initiatives de Maxime deviennent de plus en plus précises et personnalisées. Il s’engage, il s’adresse à des individus, les encourageant personnellement et il formule des idées distinctes, par exemple utiliser un ordinateur, scanner des images ou encore utiliser un micro. Ainsi, il essaie d’impliquer ceux qui ont ce matériel à leur disposition, autrement dit, il passe à une sélection dissimulée. De plus, il essaie de susciter l’enthousiasme des scouts et vante les avantages du poste. En outre, il tente de trouver des compromis en leur proposant de l’occuper à plusieurs. Malgré tous ses efforts, personne ne se montre disponible. La question qui se pose alors est de savoir comment les scouts parviennent à résister. J’étudierai dans ce qui suit les différentes façons de réagir de ceux qui sont visés par la persuasion.

Notes
174.

Pour une explication, voir chapitre 2, La patrouille.

175.

Le dénouement de la situation sera analysé dans le prochain sous-chapitre Se mettre d’accord.

176.

Voir annexe, réunion du 11-10-2003.