Imposer des pompes

L’analyse des tentatives de persuasion au sein de l’activité interactionnelle imposer des pompes nous permet de souligner l’expressivité du style communicatif. Dans ce contexte, les initiatives et les réactions sont particulièrement pauvres de contenu, elles s’appuient presque entièrement sur l’expressivité des scouts.

Le contexte du passage qui sert ici de base à l’analyse est assez simple : le CP prévoit de punir le SP qui est arrivé en retard à la réunion. L’enjeu est important, le CP doit se faire reconnaître en tant que chef, tout en sachant que le SP risque de perdre la face devant la patrouille s’il s’incline. Il s’agit d’un conflit purement social qui ne se joue en théorie qu’entre le CP et son SP, les autres scouts jouant le rôle de spectateurs.

Tout commence donc par l’ordre de Maxime de faire vingt pompes :

Extrait n°1 (23-4-2004 : l. 212-222) :

1 M : =t’es parti pour vingt pompes là c’est parti là oui donc parti
2 C : non non
3 M : si si
4 G : pour l’exemple
5 C : non non
6 M : pour l’exemple il sait pas pomper\ tu sais pomper/ non
7 Ar: non pas très bien
8 M : pas très bien donc tu lui montres
9 C : non
10 M : euh tu commences par dix ça me fait plaisir
11 C : non non franchement ça me fait pas plaisir

Ce passage au cours duquel Maxime tente de persuader son SP de lui obéir débute d’une manière très schématique, car Corentin ne contribue à la discussion que par de brefs refus : sauf le tout dernier où il reprend en gros la syntaxe de l’énoncé de Maxime, ses énoncés consistent à chaque fois en une simple négation « non (non) ». Devant ces refus, Maxime et les autres garçons qui interviennent essaient de le faire changer d’attitude : soit en n’acceptant pas ce refus, soit par des arguments ou des concessions.

En tout, il n’y a que très peu d’arguments de chaque côté et le contenu des énoncés est plutôt pauvre. Comme il s’agit de faire pomper une personne, cela n’est au fond guère étonnant. Ce qui compte davantage dans cet échange, c’est la rapidité des réactions et l’insistance avec laquelle les interlocuteurs s’expriment. Chez les scouts, persuader ne dépend pas de la qualité des arguments, mais de la capacité à s’imposer dans la discussion.

L’extrait suivant montre quelques phénomènes essentiels :

Extrait n°2 (23-4-2004 : l. 230-238) :

1 C : no:n non non
2 M : Corentin tu les fais sérieux (.) Corentin tu les fais là
3 C : c’est trop con
4 M : Corentin tu les fais
5 C : non
6 M : tu les fais
7 C : non
8 M : t’es parti
9 C : non

On remarque un grand nombre de répétitions, autant à l’intérieur des énoncés (1, 2) que d’un énoncé à l’autre (1, 5, 7, 9 ; 2, 4, 6). La plupart des énoncés sont très courts, beaucoup ne se composent que d’un seul mot. Cela s’explique par deux raisons principales : d’un côté, les interlocuteurs manquent d’arguments thématiques et comme il faut réagir vite, ils se contentent de « bloquer » le dialogue et d’insister sur leur point de vue. D’un autre côté, ce « blocage » rend toute réaction de l’interlocuteur très difficile. Comment réagir à un « non » si ce n’est en répétant son ordre ? Le plus simple serait peut-être aussi de renoncer.

On note par ailleurs des reprises de la structure et du lexique :

Extrait n°3 (23-4-2004 : l. 304-305) :

1 M : t’en fais dix ça me fait plaisir franchement
2 C : non moi ça me fait pas plaisir

Reprendre en partie l’énoncé précédent n’est pas seulement une bonne façon d’assurer une réaction rapide, cela permet aussi de réfuter sans équivoque un argument. Dans notre exemple, il suffit que Corentin transforme la deuxième partie de l’énoncé de Maxime en énoncé négatif pour repousser son objection. Cela est aussi possible parce que les deux énoncés n’ont aucune valeur thématique, ils ne servent qu’à entretenir l’échange.

Comme ces répétitions deviennent vite monotones, les deux scouts essaient finalement de jouer sur la prosodie :

Extrait n°4 (23-4-2004 : l. 240) :

1 C : non j’ai PAS envie je n’ai pas envie (.) sincèrement là

Extrait n°5 (23-4-2004 : l. 291-293) :

1 M : t’en fais dix
2 C : j’ai pas envie
3 M : t’en fais DIX

Bien que les énonciateurs reprennent en gros les formulations et n’ajoutent aucun contenu, ils arrivent à varier leurs énoncés grâce à la prosodie et à un accent d’insistance. De cette façon, ils évitent de faire une concession quelconque et obligent leur interlocuteur à réagir à son tour. Ces quelques exemples soulignent bien l’importance de l’expressivité qui vient pallier le manque de contenu.

En résumé, les scouts n’arrivent que difficilement à trouver une solution au terme d’un échange persuasif. Cela s’explique d’une part par le peu d’arguments présentés et d’autre part par le fait que les réunions scoutes n’exigent pas de formulation de résultats à la fin. Ainsi, les garçons peuvent passer leur temps à discuter. Leurs conversations constituent l’objectif principal de leurs rencontres. Dans cette mesure, les échanges persuasifs importent plus que le fait de trouver une solution. Cela n’empêche évidemment pas que les scouts puissent se mettre d’accord sur des contenus. C’est d’ailleurs sur l’analyse de cette activité discursive que je vais clore ce chapitre.