Conclusion

L’objectif de ce chapitre était de décrire les routines langagières qui s’établissent dans le type d’interaction de la réunion scoute. Notre approche a consisté à partir d’un schéma à trois niveaux. Le niveau micro sur lequel l’analyse s’est appuyée permet de décrire les activités discursives. Celles-ci s’inscrivent dans des activités interactionnelles qui constituent quant à elles le niveau méso. Ces activités interactionnelles déterminent à leur tour le déroulement de l’interaction et dépendent du cadre extérieur, c’est-à-dire du niveau macro. Comme les trois niveaux sont interdépendants la description des activités discursives permet de tirer des conclusions sur les particularités du style scout au moment de la réunion. L’analyse de la plus petite unité permet d’un côté d’étudier les phénomènes langagiers qui déterminent les routines langagières et de l’autre de mieux comprendre la structure et le fonctionnement du type d’interaction.

Je voudrais ici rappeler dans quelle mesure notre approche a permis de décrire la structure d’un type d’interaction ; puis je résumerai les particularités des réunions scoutes ainsi que les formes linguistiques et discursives et les procédés interactionnels qui les caractérisent.

Concernant la structure des réunions scoutes, l’analyse des activités discursives a montré le lien étroit entre le niveau micro et le niveau méso, autrement dit l’interdépendance entre l’activité discursive et l’activité interactionnelle. Précisément, nous avons vu que faire une proposition ne nécessite pas forcément de marques langagières puisque normalement l’énoncé se situe dans un contexte qui permet sa juste interprétation. Persuader est une activité discursive qui s’explique par l’activité interactionnelle dans laquelle elle s’inscrit. Comme elle suscite des réactions qui, de leur côté, provoquent d’autres initiatives de persuasion, il est possible, à partir de cette activité discursive, de faire une description assez précise des échanges au sein d’une activité interactionnelle. De son côté, l’activité consistant à se mettre d’accord constitue une activité discursive complexe qui est par définition une activité à laquelle participent plusieurs locuteurs. L’analyse a montré qu’elle se distingue moins par des marques formelles caractéristiques que par des tours conversationnels et des phénomènes interactionnels.

Ces observations soulignent la difficulté qu’implique la répartition sur trois niveaux. Ce classement est certes artificiel et ne constitue qu’un modèle auxiliaire qui rend la description des interactions verbales plus facile et intelligible. Malgré ces réserves, nous pouvons conclure que notre approche a permis de retracer la structure des réunions scoutes et de mettre en évidence leurs caractéristiques.

Qu’est-ce qui caractérise maintenant les réunions scoutes ?

La comparaison de nos données avec celles de l’étude de Meier (2002) qui constitue, à ma connaissance, l’analyse la plus exhaustive des réunions qui ait été réalisée dans une approche ethnométhodologique, a permis de mettre en évidence les premières spécificités des réunions scoutes. Contrairement à d’autres réunions, les réunions scoutes n’ont pas de programme officiel qui déterminerait le bon déroulement et obligerait à prendre des décisions et à parvenir à un résultat final. Elles constituent plus un moment convivial qu’une réunion de travail, ce dont témoigne entre autres le pourcentage élevé de sujets de conversation.

Concernant les activités discursives, l’absence d’ordre du jour et d’obligation de résultats a pour conséquence que les ouvertures et clôtures officielles des réunions scoutes sont quasi inexistantes. L’ouverture de la réunion se fait souvent de façon officieuse et même implicite. En revanche, devant l’absence d’un programme officiel, les activités comme introduire un sujet, faire une proposition ou attirer l’attention gagnent en importance.

Pour toutes les activités, la hiérarchie joue un rôle important. Certaines activités discursives, comme ouvrir et clore la réunion ne sont réalisées que par les supérieurs : les quelques exemples qui ressemblent à une ouverture explicite et qui marquent le début de la discussion des sujets de travail sont toujours liés à la personne du chef de patrouille. D’autres activités, comme introduire un sujet ou faire une proposition, sont réalisées différemment en fonction du statut social du locuteur. Le besoin d’attirer l’attention est plus important pour les scouts les plus jeunes et donc inférieurs dans la hiérarchie. Lorsqu’un scout, en général le CP ou le SP, tente de persuader les autres garçons, il le fait plus souvent dans l’intention de s’imposer sur un plan social que pour défendre un contenu. Enfin, le fait de se mettre d’accord exige en général que le supérieur du groupe approuve l’idée en question.

Les spécificités propres au type d’interaction qu’est la réunion scoute découlent ainsi de la hiérarchie et de l’absence de programme officiel. Cette combinaison peut surprendre, dans la mesure où convivialité et ordre social strict semblent contradictoires ; mais dans le cas des réunions scoutes, il y a plutôt complémentarité : dans cette ambiance libre et décontractée, les scouts inférieurs dans la hiérarchie ont souvent besoin d’être guidés par leurs chefs, qui eux ont alors tendance à s’imposer.

Comment les particularités des réunions scoutes s’expriment-elles au niveau langagier ?

L’absence d’ordre du jour ou de programme officiel exige souvent, lorsque les échanges sont très animés, des moyens langagiers expressifs. Les scouts arrivent à attirer l’attention grâce à des moyens prosodiques et grâce à l’emploi d’un métalangage ou de marqueurs qui expriment des appels. Afin de pouvoir introduire un sujet, les scouts ont également recours au métalangage ou aux marqueurs discursifs. Parmi ces derniers, ils utilisent ceux qui gardent en partie leur valeur sémantique d’origine, ainsi que ceux qui n’ont pas de signification, mais qui servent à structurer l’énoncé. Les marqueurs permettent alors à la fois d’exprimer le sens de l’activité discursive et de rendre l’énoncé plus compréhensible pour les interlocuteurs. Par ailleurs, les scouts emploient des formulations interrogatives et ils s’adressent à une personne précise ou, grâce à des syntagmes, à tout le groupe. De cette façon, leur énoncé a plus de chances d’être pris en compte et de faire réagir les interlocuteurs au sujet introduit. L’analyse de la macro-syntaxe a montré que la structure de l’énoncé elle-même peut soutenir l’activité discursive.

Aussi importantes que soient les marques linguistiques auxquelles les scouts ont recours pour exprimer leurs activités, l’analyse a également montré que, dans certaines situations, le contexte est suffisamment évident pour que l’activité ne nécessite pas d’être explicitée. De surcroît, le savoir commun est si grand que, dans des moments moins agités, les scouts n’utilisent qu’un minimum de marques langagières qui soulignent leur intention discursive.

Certaines activités discursives et leur formulation dépendent également dans une large mesure de la hiérarchie. Afin d’annoncer le programme, le CP emploie soit un verbe au futur qui détermine sans équivoque l’activité de la soirée, soit un semi-auxiliaire qui met l’accent sur la valeur directive. Lorsque le CP clôt la réunion, il le fait grâce à un impératif qui appelle par exemple les scouts à débarrasser la table. L’activité discursive qui consiste à persuader semble également réservée au supérieur. Il essaie de s’imposer notamment en marquant son insistance. Celle-ci est exprimée par des répétitions, des reprises du sujet, par l’emploi de syntagmes verbaux qui expriment l’obligation comme il faut, ce serait bien ou j’insiste.

Les scouts de rang inférieur, visés par la persuasion, réagissent en avançant des prétextes et des excuses qui témoignent de peu de contenu mais d’une réelle vivacité et originalité. Outre des refus rapides comme c’est con, c’est nul, les scouts parodient leur supérieur en imitant sa façon de parler ; ou bien ils emploient un registre de langue très soutenu qui ne correspond nullement à leur propre style. Dans le contexte de la persuasion, l’expressivité vient pallier le manque de contenu. L’argument scout est l’un des rares qui soient avancés.