Chapitre 6. Les profils interactionnels

L’objectif de ce chapitre est la description de quatre profils interactionnels. Comme je l’ai montré dans l’introduction théorique, le but de ces analyses ne consiste pas à décrire l’identité ou le style d’un locuteur, mais d’étudier les styles et comportements discursifs qui émergent de l’interaction pendant des réunions scoutes. Les profils interactionnels se constituent à partir des divers rôles et styles discursifs et résument les caractéristiques qui permettent une description du lien étroit entre type d’interaction et interlocuteurs. Tout en prenant en compte les divers facteurs qui influent sur chacun des profils, principalement le participant, ses partenaires et le processus interactionnel, les quatre études suivantes mettent chacune l’accent sur un nouvel aspect.

La première analyse examine les conséquences d’un rôle imposé par le cadre scout. Reposant sur un système hiérarchique, celui-ci établit a priori une inégalité entre les scouts. Nous nous intéresserons ici au rôle prépondérant du chef de patrouille. Le CP a des obligations qui requièrent un comportement discursif particulier. L’analyse des activités discursives a déjà montré que l’exécution de certaines activités dépend du rang social : tandis que les unes, comme l’ouverture de la réunion, sont effectuées de façon prioritaire par le CP, d’autres, comme l’introduction d’un sujet, peuvent varier selon l’énonciateur : c’est-à-dire que la façon dont le CP introduit un sujet diffère en effet souvent de celle d’un autre membre de la patrouille. Nous partons alors du principe que le rôle préexistant, dépendant du statut social (Adamzik, 1994), influe sur le comportement discursif. Après une courte analyse des exigences interactionnelles du poste de CP, je mettrai l’accent sur un autre aspect : un rôle social ne se réalise pas toujours de la même façon dans les interactions verbales. Sur la durée de ma participation et pendant l’enregistrement des données, le poste du CP a été occupé par deux garçons différents. Cette circonstance heureuse me permet donc d’analyser deux comportements distincts, ou bien deux « typologies de[s] stratégies discursives à partir d’un même rôle » (Charaudeau, 1995 : 93). Enfin, je mettrai en évidence un autre aspect essentiel pour la constitution d’un profil interactionnel : outre la personnalité du locuteur et son rôle social, les autres participants et le cadre extérieur influent également sur le comportement discursif. Lorsque ces facteurs subissent une modification, cela entraîne des conséquences sur le profil interactionnel.

Le deuxième profil analysé ne résulte pas d’un rôle social, mais des circonstances externes. Il ne s’agit pas d’un rang, mais en quelque sorte d’un statut lié à la constitution du groupe. En effet, tous les ans au moment de la rentrée, la patrouille accueille de nouveaux membres. Lors de la première année de ma participation, un seul nouveau scout a dû s’intégrer dans le groupe. Ainsi, en tant que nouvel adhérent, il a occupé, au moins pour une période, une place particulière qu’il me paraît intéressant d’analyser. L’analyse de son intégration permet d’étudier le processus interactionnel et de suivre son évolution dans le temps.

Les troisième et quatrième profils interactionnels analysés ne dépendent pas de la hiérarchie ni d’un rôle social. Il s’agit plutôt des caractéristiques d’un comportement lié à la situation ou au type d’interaction. Selon le concept de Spranz-Fogasy (1997), le type d’interaction ne doit pas être vu comme un lieu où se reproduisent les mêmes rôles et les mêmes schémas, mais plutôt comme le moment même de constitution des réalités sociales. Il s’agit ainsi de profils interactionnels individuels qui dépendent en partie du cadre scout et en partie des personnalités respectives. Le premier profil étudié est dénommé le chef-idéologue, le deuxième la honte de la patrouille. Evidemment, aucun de ces deux rôles n’est officiellement prévu ; c’est dans le contexte scout qu’ils se développent.

Le rôle de chef-idéologue s’explique de la façon suivante : le mouvement scout propose un programme, des principes et même une idéologie. Afin que celle-ci soit prise en compte, il faut des personnes qui se chargent de la faire respecter et qui insistent pour qu’elle soit appliquée. L’analyse du profil de chef-idéologue se concentrera alors autant sur le locuteur en question (Fokusteilnehmer, Spranz-Fogasy, 1997 : 252) que sur ceux qui réagissent à ses activités et sur le processus interactionnel au cours duquel ce profil se dessine.

Quant à la honte de la patrouille, ce profil découle du fait que la patrouille forme normalement un groupe homogène dont les membres doivent montrer un réel engagement et savent s’adapter au cadre prévu. Lorsqu’un membre marque son opposition il déclenche un processus que j’analyserai ici en partant du profil appelé la honte de la patrouille.

Les analyses des quatre sous-chapitres montrent de quelle façon le concept de profil interactionnel tient compte de multiples facteurs. Par ailleurs, la description des profils s’inscrit toujours dans un même objectif général, celui de décrire le style communicatif. A la fin de chaque sous-chapitre, je présenterai sous forme de tableau récapitulatif les types de style qui caractérisent chacun des profils.