Quelques particularités linguistiques découlant de ce poste

Comme la spécificité de la position du CP a déjà été discutée dans le contexte des activités discursives, je ne ferai pas ici d’analyse détaillée. En m’appuyant sur l’extrait suivant, je propose néanmoins de souligner quelques particularités importantes qui résultent de cette position sociale.

L’extrait est tiré de la première réunion après la rentrée au cours de laquelle le CP, Maxime, souhaite organiser les activités pour les six semaines à venir. Sa tâche consiste d’abord à trouver des dates auxquelles tout le monde soit disponible. Le système de tours de parole et les activités discursives qu’exprime Maxime montrent bien qu’il occupe une position particulière :

Extrait n°1 (11-10-2003 : l. 1227-1257) :

1 M : six semaines donc euh
2 An: je pense pas qu’on pour dix euros
3 M : XX activités euh
4 C : deux
5 M : non trois activités
6 C : trois activités en six/
7 M : oui
8 An: trois activités en six semaines/
9 M : ok oui déjà en novembre en novembre il f- il faudrait un samedi matin un un samedi euh une journée de samedi
10 C : c’est sympa quoi
11 M : pour vider une cave
12 C : ok bah samedi toi tu choisis à part des samedis où je suis pas là
13 M : non mais
14 B : et pas pendant les vacances
15 M : à part ce il y a le quinze aussi j’sais pas non c’est bon le quinze
16 C : là c’est quatre
17 M : non c’est quinze je crois oui quinze novembre donc
18 V : c’est toute la journée toute la journée/
19 M : oui c’est ce je pense oui on verra mais oui ce sera ce sera matin après-midi et puis à midi on se fera une bouffe après quand même à midi
20 An: oui je propose j’sais pas
21 M : et on verra à la limite si quelqu’un amènera XX
22 An : bah je XX
23 G : moi je suis cuistot alors
24 M : non
25 An: (rit)
26 M : non franchement que quelqu’un amène le le le une entrée une salade une salade et tout
27 B : moi j’amène une boîte de
28 M : du genre quoi XXX ça c’est pas sympa

Tout l’échange ressemble à un match de « ping-pong », entre le CP d’un côté et le reste de la patrouille de l’autre : en effet, un énoncé sur deux est exprimé par Maxime et c’est lui qui formule en outre les énoncés les plus longs. Concernant les tours de parole, le CP est donc très présent et domine les échanges. De surcroît, il n’exprime pas les mêmes activités discursives que les autres scouts. Il fait des annonces, corrige, répond, organise, refuse, tandis que les autres réagissent, s’assurent qu’ils ont bien compris, font des commentaires qui ne se réfèrent souvent qu’à leur propre personne, demandent des précisions et font des propositions.

En résumé, Maxime prend l’initiative et les autres réagissent. Il y a donc d’un côté l’instance active et responsable et de l’autre, le groupe, certes également actif, car faisant des commentaires, mais en même temps dépendant des interventions du chef. Un chef, qui est pourtant loin d’être un organisateur autoritaire, comme le montrent l’emploi du conditionnel, les reformulations, les marqueurs d’hésitation « euh », les verbes de relativisation « j’sais pas, je crois, je pense, on verra », les formulations qui lui permettent de rester vague « à la limite, du genre quoi » et le marqueur « franchement » qu’il utilise pour tenter de s’imposer.182

La hiérarchie induit des différences de comportement en interaction : puisque la responsabilité du groupe est assurée par une personne, les autres ont tendance à se concentrer dans leurs énoncés sur eux-mêmes (12, 20, 23, 27). Autrement dit, le rôle imposé du CP n’influe pas seulement sur le comportement de la personne directement concernée, mais aussi sur celui des autres, dans la mesure où ceux-ci cherchent à se positionner dans le groupe en se démarquant de leur chef. Nous approfondirons cet aspect en nous demandant comment l’exercice de ce poste diffère d’une personne à l’autre.

Notes
182.

Cette formulation est employée si régulièrement par le CP qu’elle est reprise à un autre endroit par les garçons pour imiter leur chef : An : ah franchement il faut s’investir Voir chapitre 5, Les réactions des autres scouts, extrait n°4.