Distribuer les postes d’action

Lors de la première réunion de l’année a lieu la distribution des postes d’action. En tant que responsable de la patrouille, il revient au CP de s’assurer que chaque membre de la patrouille trouve un poste et l’exerce pendant l’année. Néanmoins, le règlement prévoit que l’attribution des postes d’action « se décide en fonction des goûts et des talents de chacun comme des besoins de la patrouille ». (SUF, 1996 : 95). Dans cette perspective, il est aussi obligatoire que les autres scouts s’investissent, ne serait-ce que pour exprimer leurs préférences.

Année 2002/2003 ; Alexandre occupe le poste du CP.

L’extrait suivant montre comment cette activité s’est déroulée lorsqu’Alexandre occupait la place de CP.

Extrait n°1 (8-11-2002 : l. 2391-2434) :

1 Al : oui donc matos de bricolage (.) Anatole toi tu veux être secouriste/
2 An : oui (.) oui auxiliaire
3 M : oui ça va êt-=
4 Al : =oui bah on va te mettre secouriste auxiliaire
5 An : qu’est-ce qu’il y a/
6   [rires]
7 M : secouriste auxiliaire voilà voilà=
8 Al : =secouriste auxiliaire
9 M : voilà tout ce que t’as
10 An : soigner les blessés en gros
11 Al : voilà exactement là non mais tu me tu me soutiens dans ma lourde tâche de
12 An : oui
13 Al : de XX
14 An : je te soutiens le moral
15 M : ok
16 Al: exactement
17 M : c’est psychiquement
18 Al : Armine il reste quoi pour toi comme poste/
19 Ar : topographe
20 Al : topographe\ (.) allez hop c’est parti
21 M : et il y a quelqu’un qui
22 Al : quand tu étais t’as fait la topographie alors en plus o:n
23 M : oui oui
24 Ar : oui mais j’avais enfin bon
25 M : ça sert
26 An : pendant le raid c’est pas un truc qui fait plaisir
27 Al : (rit)
28 M : oui oui
29 An : XXX non tu peux pas
30 M : non il faut bosser moi je me suis fait taxer ma boussole par par Gérard
31 X : Armine il est excellent
32 M : ah il faut que je la rende (.) ça va pas aller quoi
33 Al : euh il reste quoi encore comme euh (.) pour Grégory il reste quoi/
34 M : eu:h i:
35 An : cuistot
36   [rires]
37 M : ok cuistot tu t’occupes de la bouffe pendant toute l’année merci
38 Al : non mais c’est marmiton c’est un petit marmiton là
39 X : non non mais c’est pas gentil
40 M : non tu mets rien (.) s’ils demandent cuistot on on on leur expliquera (.) on leur dira
41 X : oui
42 M : dans la patrouille dans la patrouille du cerf la tradition c’est pas d’avoir de cuistot
43 X : si c’est toujours le même gars franchement l’année dernière c’était pareil
44 Al : patrouille du cerf on est tous cuistot en même temps (.)

Pour distribuer les postes d’action, Alexandre, le CP, demande à chacun quelle activité lui ferait envie (1, 18, 33). Il laisse la personne en question choisir, même si le poste ne semble pas disponible. Anatole qui voudrait être secouriste est ainsi nommé « secouriste auxiliaire » (4), car Alexandre s’occupe apparemment déjà des tâches de secouriste (11). Le CP accepte les souhaits des autres (4, 20) et les prend au sérieux. Surtout, il les empêche de se moquer les uns des autres (3-18) : au moment où Maxime essaie de mettre en question les compétences d’Anatole, Alexandre lui coupe la parole (4, 8) tout en rassurant Anatole (4, 8, 11, 16) ; puis, il passe à la personne suivante avant que Maxime ne puisse trop insister. En tant que grand frère, Alexandre fait confiance aux compétences des garçons.

Il est important de noter qu’Alexandre ne fait pas attention aux soucis personnels exprimés par Maxime (30, 32), et ne perd pas de vue son objectif de distribuer les postes d’action (33). Lorsque c’est au tour de Grégory de choisir, Alexandre adapte sa question en tenant compte du fait que Grégory vient pour la première fois et ne connaît pas le système des postes d’action. Par conséquent, il la pose d’une manière différente : il demande aux autres de faire des propositions afin que tous puissent aider Grégory à trouver un poste (33). La proposition d’Anatole (35) n’est pas sérieuse et provoque des rires, signe d’une complicité et d’une bonne ambiance. Alexandre accepte que les autres refusent sa proposition (39, 40), et il se tient en retrait en laissant les autres faire le choix (40-43). Maxime décide de ce qu’Alexandre doit noter et comment la patrouille procédera (40) ; il se sent autorisé à parler pour la patrouille (on, 40) et à évoquer la « tradition » de la patrouille (42). Même si, à la fin, c’est à Alexandre de confirmer cette décision (44), il écoute pourtant les objections et les souhaits des autres et les prend en considération. Il assure son rôle de chef, mais de chef qui sait se retenir, qui se laisse instruire par les autres membres du groupe et accepte leurs idées. Tout en dirigeant discrètement l’interaction, il arrive à régler l’affaire des postes d’action. S’il est vrai qu’Alexandre, au lieu de s’imposer, laisse les autres participer aux choix et à l’argumentation, il faut dire aussi que les garçons s’investissent : ils se choisissent un poste (2, 19), font des propositions (sérieuses ou non) (35, 40) et expriment leurs objections (39, 40). Cette participation active influe évidemment sur la façon dont Alexandre exerce son poste.

Année 2003/2004 ; Maxime occupe le poste du CP.

Une année plus tard, la place du CP est occupée par Maxime. Parmi les membres de la patrouille nous retrouvons Grégory. Deux autres scouts interviennent au cours de l’extrait qui est à la base de notre analyse : Corentin et Benjamin. Tandis que le premier fait partie de la troupe depuis longtemps et connaît alors bien le monde scout, Benjamin vient d’arriver chez les éclaireurs. Le système des postes d’action ne lui est pas encore familier. Ces facteurs externes sont importants afin de comprendre pourquoi, cette année-là, la distribution des postes d’action prend une tournure très différente :

Extrait n°2 (11-10-2003 : l. 193-208) :

1 M : ah oui il y a il y a les postes d’action aussi
2 B : il y a quoi/
3 C : matérialiste
4 M : tu veux être tu veux être matérialiste toi/ ok
5 C : bah ça risque dans la cave donc
6 G : l’année dernière quoi
7 C : oui oui bien sûr
8 G : j’étais rien l’année dernière/
9 M : matérialiste
10 C : Grégory tente
11 G : moi je fais rien t’es fou
12 B : moi je suis rien je suis une louche euh
13 M : non non mais si il faut que tu t’investisses donc euh
14   (Grégory prend l’argent qui est sur la table)
15 B : ATTENDS t’as déjà donné déjà/
16 G : (rit)

Cette fois-ci, la distribution des postes d’action se déroule d’une façon différente et se révèle plus difficile. Au moment où Maxime évoque les postes (1), la réaction de Benjamin, qui vient d’adhérer à la patrouille, montre qu’il n’a aucune idée de quoi il s’agit. Il pose alors une question de compréhension (2). Mais avant que Maxime n’ait le temps de pouvoir lui expliquer, Corentin prend la parole et revendique le poste du matérialiste (3). Personne ne réagit à la question de Benjamin ni ne lui explique le système. Corentin et Grégory sont plus préoccupés par leur propre poste (3, 5-8) et tournent même la distribution des postes en dérision (10-11). Comme Benjamin ne comprend rien à ce qui est en train de se passer, il imite le comportement démotivé de Grégory (12). Maxime se voit alors obligé de leur demander explicitement de s’investir (13). Cette attitude sévère et autoritaire rend sa tâche plus ardue, car elle éloigne le CP des autres scouts : pendant que le CP essaie, en vain, de les motiver, Grégory prend l’argent qu’ils ont gagné grâce à la vente des calendriers et qui se trouvait sur la table (15). Cet incident interrompt définitivement la distribution des postes.

Pour quelles raisons la distribution des postes d’action diffère-t-elle d’une année à l’autre ? En principe, Maxime procède comme Alexandre l’année précédente : il laisse choisir les autres et accepte leur choix (9). Mais tandis qu’Alexandre s’adresse à une personne précise, Maxime évoque seulement le sujet (1). Par conséquent, il a plus de difficultés à diriger l’interaction. En outre, Maxime se voit confronté au problème que les nouveaux, comme Benjamin, ne sont pas au courant et que les anciens ne coopèrent pas avec leur CP. Ils l’empêchent de réagir à la question du nouveau et n’entrent pas dans une discussion sérieuse.

Une fois de plus, il est important de noter que l’exercice d’un rôle social dépend pour une très grande partie du comportement des interlocuteurs. Moins ceux-ci contribuent à la tâche, plus ils rendent son accomplissement difficile pour celui qui en a la charge. Pour parler plus concrètement du rôle du CP, on constate que moins les scouts s’investissent, plus le CP doit s’imposer et adopter une attitude autoritaire.