Le chef-idéologue

Les deux profils interactionnels que nous allons maintenant étudier se distinguent des deux précédents dans la mesure où ils ne découlent pas directement d’un poste ou d’un statut social explicite.

Pourquoi alors parler de chef-idéologue ? Ce terme n’a jamais été utilisé par les éclaireurs. Mais les données présentent un scout, Maxime, qui semble particulièrement motivé, présent dans les interactions verbales pendant les réunions, informé des affaires de la patrouille et veillant à ce que les principes soient respectés. Son comportement discursif se distingue de celui des autres et me semble intéressant à décrire parce que Maxime domine les interactions et assure pour une grande part le lien entre idéologie, cadre théorique et rencontres des jeunes.

L’engagement de Maxime frappe d’abord par quelques éléments statistiques : quatre des six réunions ont eu lieu chez lui dans l’appartement de sa famille et chaque année les garçons ont passé au moins un week-end de patrouille dans la maison de campagne de ses parents ; ceux-ci leur proposaient régulièrement de venir y faire de petits travaux comme couper du bois afin de gagner l’argent de patrouille pour les camps. D’un point de vue plus linguistique, lorsqu’on étudie la participation de Maxime dans les interactions au cours des réunions, ce qui frappe tout d’abord c’est le nombre de ses énoncés. C’est toujours le plus élevé du groupe :

Première année :

Alexandre Anatole Armine Grégory Maxime Xochiel
794 334 88 159 915 397
265 608 12 72 729 450
1028 359 - 189 1249 1006

Deuxième année :

Anatole Arno Benjamin Corentin Grégory Maxime Quilien Valéry
376 4 149 403 432 725 127 55
367 44 396 513 493 653 225  
347 44 135 445 336 611 87 85

Maxime (première colonne en bleu) participe toujours très activement à la discussion, qu’il soit Second ou CP, hôte ou invité. Tandis que la fréquence de la participation des autres scouts peut varier au cours du temps191, celle de Maxime reste constamment la plus élevée.

En outre, Maxime s’assure aussi souvent que la discussion ne dérive pas trop de l’objectif commun. Il évoque des sujets scouts et n’hésite pas non plus à interrompre la conversation pour revenir à un sujet scout. Même s’il n’est pas le seul à le faire, il le fait avec plus de régularité et d’insistance que les autres garçons. Ses énoncés tournent constamment autour de leur vie scoute : qu’il s’agisse des affaires de patrouille comme des postes d’action, de la vente des calendriers ou des week-ends de patrouille, et cela bien avant qu’il ne soit CP, des autres patrouilles, de la maîtrise, des anciens membres de la troupe, des camps et de leurs installations, des concours de cuisine et des raids, des aventures qu’ils ont vécues, du magazine Woodcraft ou d’autres personnes qui pourraient adhérer à la troupe. Son comportement montre à quel point il s’intéresse aux affaires scoutes et s’y investit. En m’appuyant sur l’extrait suivant, je montrerai comment Maxence guide la discussion en veillant à ce que les affaires de patrouille soient bien abordées. Je tiens à souligner qu’au moment de l’enregistrement Maxime n’occupait pas encore le poste de CP.

Extrait n°1 (16-5-2003 : l. 576-588) :

1 X : en plus je voulais le faire au départ et je suis parti en Pologne et je suis vraiment pas y arrivé quoi ok\
2   [p.3s]
3 Al: bon c’est bon ça
4 M : oui donc alors on commence par quoi/
5 Al: quoi/
6   [p.3s]
7 X : bah voilà
8 M : on parle du camp en premier là/
9 X : bah on fait le plan les installs/ non
10 Al: euh attends
11 M : bah si tu veux oui
12 X : oui
13 M : moi j’suis pour faire un truc pas grand

L’énoncé de Xochiel clôt le sujet précédent, une pause suit, mais le commentaire d’Alexandre qui est CP n’introduit pas de nouveau sujet de discussion. Par conséquent, Maxime prend l’initiative. Son énoncé n’invite pas seulement les autres garçons à aborder un nouveau sujet, par le verbe « on commence » il exprime son souhait d’aborder les sujets officiels prévus pour cette réunion. Comme lui n’est pas CP, il doit formuler une question pour demander à son chef de patrouille, Alexandre, d’introduire les sujets officiels. La grande motivation de Maxime est d’autant plus manifeste si on la compare au comportement du CP. Maxime se montre très motivé : il pousse les scouts à aborder leurs sujets de travail (4), en introduit un (8) et entre tout de suite in medias res, car visiblement il a déjà réfléchi à la question auparavant. En revanche, le CP, Alexandre, semble bien moins pressé (10). Malgré nos observations selon lesquelles c’est au CP d’amener la patrouille à discuter certains sujets officiels192 (comme ici la préparation des installations pour le camp d’été), dans cet extrait c’est le plus motivé, le chef-idéologue, qui s’en charge. Puisque le profil interactionnel dépend de l’interaction en général ainsi que du comportement des partenaires de discussion de la personne qui se trouve au centre de la focalisation, l’indice que le CP est trop hésitant pour prendre l’initiative me semble indispensable afin de comprendre le comportement de Maxime.

Dans ce qui suit, l’analyse du comportement discursif de Maxime se concentrera sur deux éléments : d’une part, j’étudierai l’influence du scoutisme sur son parler et d’autre part, je décrirai les activités discursives qui caractérisent son propre style communicatif. Cerner les facteurs qui influent sur ce profil nous permettra d’étudier l’interdépendance entre les interactions verbales et le cadre scout du point de vue du profil interactionnel.

Notes
191.

Tel est le cas d’Anatole, par exemple, qui participe activement en janvier 2003, puis reste très discret en mai, tandis qu’au cours de la deuxième année, sa participation s’équilibre.

192.

Voir chapitre 5.