La honte de la patrouille

Le dernier profil interactionnel analysé est en quelque sorte complémentaire de celui du chef-idéologue dans la mesure où le participant sur lequel nous allons nous focaliser se montre (souvent) le moins motivé et le plus éloigné du scoutisme parmi tous les membres de la patrouille. L’analyse de ce profil me paraît d’autant plus intéressante que, contrairement au chef-idéologue, le comportement varie au cours des deux années de ma participation. Il témoigne ainsi du processus dynamique qui détermine chaque profil interactionnel. Comme cela valait également pour le chef-idéologue, nous verrons une fois de plus l’importance que jouent le cadre extérieur et les autres participants dans la détermination du profil que j’appelle honte de la patrouille.

L’expression honte de la patrouille a été prononcée lors d’un week-end de troupe en janvier 2003 pendant lequel Anatole, à qui cette expression fait référence, était absent. Comme l’échange en question n’a pas été enregistré, il n’est pas possible de retracer le contexte afin d’expliquer ce qui a pu provoquer concrètement ce reproche discriminant. Néanmoins, si j’ai retenu cette dénomination et décidé de l’exploiter pour l’analyse d’un profil interactionnel, c’est parce qu’elle exprime bien la situation « bipolaire » dans laquelle se trouve Anatole : d’un côté, il est bel et bien membre de la patrouille, et en cela il fait partie du groupe, d’un autre côté, ses camarades scouts prennent leurs distances vis-à-vis de lui, l’excluent même de leur unité par cette dénomination, en lui reprochant de déshonorer leur groupe. Il occupe alors une position d’outsider.

Grâce à ma participation aux activités de la troupe et grâce à ma présence à quelques discussions des chefs, j’ai rapidement appris que l’intégration d’Anatole à la troupe causait des problèmes. Il était évident qu’il avait du mal à trouver sa place dans la patrouille. A plusieurs reprises, il a fait parler de lui : du côté des autres scouts émergeaient des reproches désapprouvant son manque de motivation ; du côté des chefs, on blâmait une mauvaise conduite pendant les camps ainsi qu’un manque de bienveillance à l’égard de ses camarades scouts. Ces problèmes aboutirent à la menace de l’expulser de la troupe après le camp de Pâques 2004.

En regardant les données, on s’aperçoit facilement qu’Anatole occupe un rôle particulier et différent des autres. Ce rôle, nous le voyons se manifester à travers le comportement d’Anatole lui-même : par sa tendance à parler des sujets non-scouts, par sa façon de dire et de faire des bêtises, de « déconner », par sa conduite « rebelle ». Ces phénomènes ont en commun une conduite active initiée par Anatole. Ils conduisent ensuite à des réactions des autres membres qui l’attaquent verbalement, le critiquent et mettent ainsi en question son intégration et son statut au sein du groupe. Parallèlement, nous observons un comportement d’Anatole qui doit être interprété comme une réaction face à la mise en cause de sa place dans le groupe : à certains moments, il se montre très motivé et s’efforce de trouver des « alliés » dans le groupe, ou encore, il critique les autres.

Cette description prouve l’importance du processus qui détermine la constitution du profil interactionnel. Ceci vaut autant sur la durée de ma participation que lors d’une seule réunion : à la réunion du 17 janvier par exemple, les attaques des autres garçons ne surviennent qu’au bout d’un moment, et l’intensité de ces attaques augmente au fur et à mesure que le comportement d’Anatole s’écarte du déroulement attendu et souhaité par les autres. L’influence du comportement des autres scouts confirme aussi l’observation de Spranz-Fogasy selon laquelle c’est moins à cause de son propre comportement qu’un locuteur devient outsider, que du fait de l’exclusion explicite opérée par ses interlocuteurs (1997 : 48).

L’analyse du profil interactionnel tiendra alors compte et du processus dynamique et de l’influence des autres locuteurs. Elle s’appuiera sur deux types de style caractéristiques de la honte de la patrouille : un style décontracté et un style passif et négatif qui seront décrits à la fois sous l’aspect de la position d’outsider et sous celui de ses stratégies de (ré)intégration.