Ses stratégies de (ré)intégration

Dans la suite des réunions qui suivent celle de mai 2003, nous constatons qu’Anatole s’efforce de retrouver une place dans le groupe. C’est surtout à la rentrée, lorsque la patrouille est reconstituée qu’il se montre motivé : il se renseigne sur des affaires de patrouille et multiplie ses propositions. L’extrait suivant montre sa nouvelle attitude, mais il est aussi intéressant si on le met en rapport avec des circonstances précédentes : ici, pendant le planning des activités, Anatole se heurte au manque de disponibilité de ceux qui participent aux rallyes. Selon ce que nous avons constaté auparavant – Anatole se trouvait exclu de la conversation parce qu’il était le seul à ne pas connaître le système des rallyes – il est intéressant de voir comment la situation s’est inversée depuis la réunion de janvier 2003 :

Extrait n°1 (11-10-2003 : l. 1306-1312) :

1 C : tout le monde c’est bon le huit ou pas
2 An: bah le huit novembre moi je sais pas
3 M : ah non non le quinze
4 An: ça me dit quelque chose le huit
5 M : samedi huit novembre/
6 An: c’est pas le jour qui est avant le sept/
7 G : ah mais si ça se trouve j’aurai un ami qui fait un rallye et puis s’il y ira pas

Avant cet extrait, les éclaireurs essaient de trouver des dates libres dans les mois à venir pour organiser des activités de patrouille. Se mettre d’accord pour un week-end s’annonce très difficile notamment parce que Corentin et Quilien font partie d’un rallye qui les oblige à participer à plusieurs activités auxquelles ils donnent la priorité sur les affaires scoutes. Par conséquent, le rallye entre en concurrence avec le scoutisme et ceux qui en sont exclus peuvent en profiter pour reprocher à Corentin et à Quilien de ne pas être assez motivés pour leur cause commune.

De cette façon, on voit Anatole et Grégory se moquer de ceux qui font comprendre aux autres qu’ils sont toujours pris. Afin de ridiculiser leur attitude, ils imitent leur comportement en invoquant des prétextes tirés par les cheveux. L’ironie de Grégory fait peut-être preuve de plus de subtilité que celle d’Anatole, mais tous les deux se servent avec succès de l’ironie, se trouvent ainsi complices et accusent indirectement les autres de montrer trop peu d’engagement, ce qui signifie a contrario qu’eux-mêmes sont motivés, installés et sûrs de leur place dans la patrouille. Ainsi, il semble qu’Anatole essaie d’attribuer la place d’outsider à un autre membre de la patrouille et de se débarrasser ainsi lui-même de ce rôle.

Dans le même but, Anatole insiste sur le manque de motivation d’autres scouts :

Extrait n°2 (23-4-2004 : l. 1791-1795) :

1 An: Quilien il avait&
2 B : ça va ça XX
3 An: &y avait pas un truc chez lui à faire/
4 M : j’sais pas mais il a pas l’air vachement motivé donc
5 An: dommage

D’abord, c’est Anatole lui-même qui attire l’attention sur la nécessité de trouver un moyen pour gagner de l’argent et qui rappelle le travail proposé par Quilien lors d’une réunion précédente (1). Lui qui, un an plus tôt, ne se gênait pas pour manifester d’une manière trop apparente son manque d’envie et d’enthousiasme pour la vie de patrouille, se comporte maintenant comme s’il occupait la place d’un Second qui soutient le CP, lui rappelant les besoins de la patrouille. Il souligne sa préoccupation en jugeant « dommage » que Quilien ne soit pas très « motivé » en ce moment. C’est une excellente façon d’insister sur sa propre motivation, et un membre motivé est logiquement solidement intégré dans son groupe. Après les expériences de l’année précédente et face au danger de se faire expulser du groupe211, Anatole profite ici de l’occasion pour se distinguer des membres qui ne s’investissent pas assez. Il confirme ainsi sa place dans la patrouille en quittant son rôle d’outsider qu’il semble vouloir laisser à une autre personne.

Avant de résumer les types de style et leurs manifestations linguistiques et interactionnelles sous forme de tableau, je tiens à faire quelques remarques concernant le concept de profil interactionnel. L’étude de la honte de la patrouille a prouvé avec le plus d’évidence l’importance des autres participants sur le comportement du locuteur focalisé et le caractère dynamique du profil. Non seulement le profil interactionnel se caractérise par différents styles, mais il témoigne également de stratégies interactionnelles changeantes. Ce qui rend le concept et la description des profils fascinante est l’interdépendance de tous ces facteurs différents que je tenterai maintenant de présenter dans le tableau suivant :

La honte de la patrouille
Types de style Manifestations linguistiques et interactionnelles Les réactions des autres scouts au niveau linguistique et interactionnel
Style décontracté Le comportement qui lui attribue la position d’outsider :
forte présence dans la discussion
préférence pour les sujets « non-scouts »
intonation très expressive
répétitions
emploi du pronom personnel de la première personne du singulier (tendance égocentrique)
il insiste sur les sujets de discussion qui l’intéressent
il chante, imite des scènes de radio et de cinéma
comme il ne prend pas les contributions des autres en compte, il provoque des chevauchements

ils essaient de le faire taire
ils font semblant de ne pas l’avoir entendu et ne réagissent pas à ses remarques
ils prêtent attention à lui et essaient de l’intégrer dans une discussion sérieuse
ils l’appellent blaireau
Les stratégies de (ré)intégration :
il pose des questions (humoristiques)
il fait des remarques distrayantes
il introduit des sujets qui l’intéressent
Style passif et négatif Le comportement qui lui attribue la position d’outsider :
faible taux de participation
des énoncés très courts
distance sémantique des scouts (potes – scouts)
adverbe de négation
juron
intonation expressive

ils l’insultent
ils l’excluent implicitement et explicitement
ils ne se laissent pas influencer
ils réagissent à de rares interventions
Les stratégies de (ré)intégration :
il multiple ses propositions
il se moque de ceux qui ne se montrent pas motivés
il insiste sur le manque de motivation d’autres scouts
 

Notes
211.

La veille de la réunion avait eu lieu un entretien du chef de la troupe avec les parents d’Anatole où il était question de l’exclure de la troupe.