Conclusion

Le but de ce chapitre était la description de quatre profils interactionnels. Ce modèle linguistique inventé par Spranz-Fogasy (1997) part du principe que la façon d’agir d’un locuteur dépend en grande partie de l’activité de ses interlocuteurs et du processus de l’interaction.

Les quatre profils ont été sélectionnés pour des raisons différentes : le premier objet d’analyse était le comportement des locuteurs qui occupent le poste du CP, un rôle social imposé. La deuxième analyse suivait le processus d’intégration d’un nouvel adhérent. Les troisième et quatrième profils ont été choisis en fonction de comportements spécifiques et frappants par rapport au type d’interaction. Ces quatre profils indiquent le lien étroit qui existe entre la personne au cœur de la focalisation (Fokusteilnehmer, Spranz-Fogasy, 1997 : 252) et le type d’interaction.

Afin de décrire le comportement discursif du locuteur focalisé, les analyses des interactions verbales ont mis l’accent sur le style communicatif à travers les manifestations linguistiques et interactionnelles. Comme le style communicatif constitue une catégorie statique, son analyse seule n’est pas suffisante pour la description d’un profil interactionnel. Pour une description complète, il faut tenir compte des autres interlocuteurs et surtout du processus de la situation d’interaction. Par conséquent, à chaque profil étudié ont été attribués plusieurs types de style. Ceux-ci résument les caractéristiques linguistiques du locuteur qui changent au cours des interactions et qui doivent être interprétées dans le contexte interactionnel.

Dans cette perspective, nous avons constaté lors de l’analyse du comportement discursif du chef de patrouille que, d’une façon générale, ce rôle social exigeait un style communicatif actif et responsable qui se traduisait par une forte présence dans l’interaction et des activités discursives comme ouvrir la réunion, faire des annonces, organiser, corriger ou refuser. Mais comme deux personnes différentes ont occupé cette place dans la patrouille au cours des deux années d’enregistrement des données, l’analyse de leur comportement respectif au cours des mêmes activités interactionnelles a montré des types de style distincts. Tandis qu’Alexandre se comportait comme un grand frère, Maxime témoignait d’un comportement autoritaire. Ainsi, cette comparaison met non seulement en avant les exigences du poste de CP, mais elle prouve également toute la différence entre un rôle social et un profil interactionnel : le poste de CP a beau demander à la personne qui joue ce rôle la performance de certaines activités langagières, celles-ci seront réalisées de façon individuelle et appropriée au comportement des interlocuteurs. Il est donc insuffisant de parler du comportement communicatif d’un CP, car en fonction de la situation et des interlocuteurs ce rôle social est réalisé différemment.

De surcroît, l’analyse de ce profil a montré comment l’interruption de la discussion en cours par une personne extérieure peut mettre en question un rôle social et influer sur le profil interactionnel. Comme le rôle social du CP n’est valable que pour les scouts, l’apparition d’une personne non scoute (et surtout d’une mère) confère un autre statut à la personne focalisée qui doit alors adapter son comportement vis-à-vis de l’intruse tout en restant le chef de sa patrouille. Cette observation souligne l’importance de la situation d’interaction et des interlocuteurs sur le profil interactionnel. Comme ces deux facteurs sont soumis à des modifications, le profil se crée au cours d’un processus qui doit obligatoirement être pris en compte.

Le deuxième profil interactionnel rend cet aspect encore plus évident. L’analyse se concentre sur l’intégration d’un nouveau membre au cours de l’année ; le processus même de son intégration se trouve alors au centre de l’intérêt. Logiquement, les types de style du nouvel adhérent changent. Comme les autres scouts n’accordent que peu d’importance au fait qu’il soit nouveau, l’intégration de Grégory se déroule de façon implicite. Grâce à son style intéressé et motivé et aidé par un accueil bienveillant, Grégory perd rapidement le statut de nouvel adhérent.

Les profils interactionnels que j’ai nommés chef-idéologue et honte de la patrouille se réfèrent quant à eux à des participants qui ne se distinguent pas par un poste ou un statut social explicite. Ils prouvent pourtant que tous les locuteurs peuvent faire l’objet d’une interprétation qui relève d’un profil interactionnel malgré l’absence d’un facteur externe distinctif. Chaque profil est reconnaissable grâce à des comportements caractéristiques qui n’influent pas seulement sur le déroulement des réunions scoutes, mais qui les déterminent. Dans la mesure où le chef-idéologue insiste sur le scoutisme et où la honte de la patrouille a tendance à s’en éloigner, les deux profils dépendent implicitement du cadre extérieur et jouent un rôle essentiel en ce qui concerne la réalisation du type d’interaction.

Le chef-idéologue adapte son style communicatif au cadre scout : il a tendance à se référer à ce contexte, s’investit beaucoup et essaie de figurer comme le garant de l’idéologie scoute. La honte de la patrouille ne s’adapte que difficilement au type d’interaction et se meut dans une situation d’outsider. Cette place dépend, comme nous l’avons vu, en grande partie des autres interlocuteurs. En outre, elle déclenche un processus de réintégration.

Dans cette perspective, le dernier profil analysé recoupe en quelque sorte quatre aspects du modèle de profil interactionnel qui me semblent essentiels :

Etant donné cette interdépendance de plusieurs facteurs, le profil interactionnel est instable et évolue au fur et à mesure que l’interaction progresse. Dans ce sens, ce concept se distingue de la notion de style qui, en tant que catégorie statique, ne met pas l’accent sur le caractère dynamique. Néanmoins, l’analyse du style communicatif reste indispensable pour caractériser le comportement discursif des locuteurs dans la mesure où c’est grâce à cette approche que l’ensemble interactif des procédés lexico-sémantiques, syntaxiques, morpho-phonétiques, prosodiques et d’autres moyens rhétoriques de réalisation du langage en interaction (Selting & Sandig, 1997 : 5) peut être décrit. L’analyse du style constitue alors une contribution essentielle à la description des profils interactionnels.

Si l’analyse des profils s’appuie donc sur les styles communicatifs individuels, l’ensemble des profils caractérise quant à lui le style du groupe. Dans la mesure où le style communicatif doit être compris comme un « paquet de procédés concomitants » (Sandig, 2006 : 54), l’interprétation du style du groupe doit en effet tenir compte de la somme des profils interactionnels qui se manifestent. Ceci est d’autant plus vrai que les profils sont interdépendants : le comportement du CP dépend en grande partie de ses interlocuteurs, l’intégration du nouvel adhérent est liée à l’accueil du groupe, et l’outsider est d’autant plus marginalisé que les autres scouts insistent sur le respect de leur cadre.

L’analyse des profils interactionnels permet donc une description complète et approfondie du style communicatif propre à un groupe.