Dans cette première partie, nous ferons une présentation chronologique des différents travaux existant en sociologie concernant les techniques. Notre recherche porte sur l’objet technique et non la technique en générale. Cependant, le second terme est perçu comme englobant le premier aussi les théories sociologiques que nous présenterons dans cette partie intègrent aussi bien l’un ou l’autre des deux termes.
Cet état de l’art n’a pas la prétention de faire la recension de tous les travaux autour de la question des techniques. Nous nous sommes concentré sur les ouvrages de sociologie traitant de la technique. Néanmoins, nous avons été amené à citer d’autres disciplines (l’histoire, la philosophie, l’anthropologie et l’économie) lorsqu’elles ont influencé les travaux des sociologues cités. De plus, nous n’avons pas cherché à rendre compte de l’ensemble des théories des auteurs mais seulement des aspects qui nous ont semblé les plus pertinents au regard de notre thématique de recherche.
Dans cette partie, nous distinguerons des courants, des approches et des théories sociologiques pour classer les travaux concernant la technique. Sans vouloir attribuer un sens définitif à ces termes, nous nous proposons de définir le sens dans lequel ils seront employés dans cette présentation. Les « courants » constitueront le niveau épistémologique de la classification. Nous distinguerons principalement deux courants : le positivisme et l’herméneutique. Les « approches » sont la base d’une classification des travaux menés par les sociologues sur la question de la technique. Ce niveau repose sur le travail de D. Vinck11. A partir de son travail, nous distinguerons quatre approches : le déterminisme technologique, le constructivisme social, la co-construction et la co-influence. Nous appellerons « théories » les constructions théoriques des chercheurs visant à rendre compte de la réalité observée. Dans cette partie, nous classerons les différentes théories construites sur la technique en approche et montrerons que ces dernières se distinguent par les courants dans lesquels elles s’inscrivent.
Nous verrons tout d'abord le cadre conceptuel qui a dominé la formation de la pensée technologique : le déterminisme technologique qui prône la détermination des sociétés par la technique. Après cette première période d’interrogation du lien entre objets techniques et société qui est marquée par le cadre d’une sociologie d’inspiration marxiste, la question de la technique va perdre sa place prépondérante dans l’analyse sociologique. Dans les années 1970, on assiste à un retour de l’intérêt pour cette question au travers de deux approches qui se construisent en opposition aux théories développées pendant la première période. Dans les deuxième et troisième chapitres, nous présenterons les théories s’inscrivant dans ces approches du lien entre objets techniques et sociétés. La présentation ne sera plus alors chronologique puisque ces dernières se sont développées parallèlement à partir de deux branches séparées de la sociologie. Nous présenterons successivement ces deux approches.
Une première nouvelle approche débute avec la relecture de l’œuvre marxiste à partir des années 1950. Après le regain d’intérêt pour la question technique, cette deuxième interprétation entraînera une relecture du lien entre technique et société dans les analyses sociologiques du travail, en insistant sur les interactions entre techniques et sociétés.
La deuxième nouvelle approche est basée sur le programme « fort » de David Bloor et de l’université d’Edimbourg qui prône l’étude de la science comme une activité sociale « normale » dans les années 1970. Certains chercheurs vont alors étendre les conclusions du programme « fort » à la technique, créant ainsi une nouvelle approche de la technique en sociologie. Cette approche ne se démarque pas seulement de la tradition marxiste en mettant en cause le caractère unidirectionnel du lien entre technique et société, elle propose également une vision concurrente du type de lien entre technique et société et une autre échelle d’étude. En effet, ces chercheurs insistent sur la nécessité d’étudier l’activité technique en train d’être réalisée et ils s’intéressent principalement au niveau micro-social.
VINCK D., Sociologie des sciences, Armand Colin, Paris, 1995.