La représentation qui a été dominante lors de la formation d’un savoir sur les techniques repose sur une approche nommée déterminisme technologique. Selon cette approche, les objets techniques sont indépendants de la société, c'est-à-dire que l'évolution technique (que l'on nomme alors « le progrès technique ») n'est pas influencée par le contexte social dans lequel elle se produit. Néanmoins, toujours selon ce courant, les objets techniques ont des influences sur la société, ce qui signifie que l'évolution technique joue un rôle dans les changements sociaux.
Dans les sociologies françaises et anglo-saxonnes, le déterminisme technologique a joué le rôle de cadre conceptuel pour les théories du lien entre technique et société. Néanmoins, peu de théories sont une simple application des principes du déterminisme technologique car peu de sociologues reconnaissent l’indépendance de la technique vis-à-vis du social. La principale application de cette approche est celle de J. Ellul12 au travers des applications sociologiques des travaux philosophiques d’Heidegger. Il montre le puissant déterminisme interne à l’objet technique : toute la société en est déduite car les techniques forment un système, c’est-à-dire qu’elles se combinent entre elles. Elles ont donc une influence sur elles-mêmes et sur la société de manière globale.
Ce cadre théorique voudrait également que l’on puisse déduire logiquement l’itinéraire suivi par l’évolution des techniques. Il existe principalement deux théories sur cet aspect. La plus courante décrit la technique comme une application de la science, son développement répond alors à des critères objectifs et logiques. Plus récemment, une deuxième théorie a vu le jour. Elle repose sur une sorte de « darwinisme économique des techniques » selon lequel les mécanismes du marché jouent le rôle de contrainte et exercent une pression sur les techniques concurrentes aboutissant à la sélection des techniques plus aptes, c’est-à-dire les plus compétitives, car les entreprises ayant fait le bon choix technique sont avantagées sur le marché. Dès lors, seuls les objets techniques les plus efficaces survivent.
Les théories proposant un déterminisme technologique sont aujourd’hui largement contestées mais pour les comprendre, il est nécessaire de les replacer dans leur contexte. Elles furent mises en place pour s’opposer aux théories préexistantes. Tout d’abord, le déterminisme technologique s’oppose au mythe de l’inventeur génial, en montrant que le progrès technique est inévitable, ce qui explique le développement simultané de techniques équivalentes en des lieux différents. Cette conception s’oppose également aux théories présentant l’objet technique comme un outil neutre. Le déterminisme technologique s’emploie à montrer les effets des techniques sur l’organisation sociale afin de prouver que la technique n’est pas qu’un simple outil. C’est l’opposition à ces théories qui explique l’aspect extrême des propositions du déterminisme technologique. Nous retiendrons de cette approche que la technique a une influence sur la société et que son développement est lié à une logique interne. Néanmoins, nous montrerons par la suite que le lien qui relie ces deux domaines n’est pas unilatéral et que cette logique interne n’est pas suffisante pour expliquer l’évolution technique.
Peu de sociologues ont construit des modèles d’analyse relevant d’un déterminisme technologique simple. Néanmoins, le terme fut largement associé à toutes les théories qui décrivent une détermination de l’histoire par l’évolution technique. C’est notamment le cas de la sociologie du travail inspirée des travaux de K. Marx. Cette branche de la sociologie a peu formalisé le lien entre objet technique et société en tant que tel. En effet, les sociologues du travail s’intéressent avant tout aux machines. Les objets techniques sont toujours les outils du travail. Pour eux, il s’agit de savoir dans quelle mesure l’organisation du travail découle des systèmes techniques disponibles. Bien que la plupart des théories issues de la sociologie du travail décrivent une interaction entre la technique et le social, elles ont été taxées de déterminisme technologique en raison de leur insistance sur l’influence primordiale que joue l’évolution technique sur les conditions de travail.
ELLUL J., Le système technicien, Calman-Lévy, Paris, 1977.