1.4. La persistance du déterminisme technologique dans les théories actuelles

A partir de la fin des années 1960 et du début des années 1970, les sociologies basées sur ce déterminisme technologique, au sens large c’est-à-dire au sens de détermination technique de l’histoire, ont été largement critiquées par deux courants : la « co-influence » et le « constructivisme social ». Ces deux courants s’opposent au déterminisme de la technique sur le social en montrant l’influence du social sur les objets techniques mais s’opposent entre eux sur la question de la nature des liens entre techniques et société.

On assiste, aujourd’hui, à un renouveau de théories proches du déterminisme technologique. Ces théories sont construites autour de l’analyse des changements contemporains interprétés comme liés aux évolutions technologiques. Selon D. Mackenzie, ces théories sont de trois sortes. Le premier type de théorie concerne le passage à une société d'information, le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) étant vu comme le pilier d'émergence d'une nouvelle société dans laquelle les ressources les plus importantes ne seraient plus le travail et le capital mais l'information. Le deuxième type de théories dit « post-fordistes » décrit le passage à une nouvelle ère du capitalisme où les formes d'organisations flexibles remplacent et rendent obsolètes les modes de production de masse et le travail non qualifié. Enfin, le troisième type de théories, le « postmodernisme », considèrent que le développement technique permet une diminution de l'importance du travail manuel au profit du travail intellectuel. Ces approches mettent en parallèle évolution technique et changement social sans faire état d’un lien de causalité car elles ne cherchent pas à formaliser le lien entre technique et social. Ces théories montrent les liens étroits existants entre technique et social mais également le passage au second plan de la question du statut de la technique. En effet, elles ne cherchent pas à formaliser le rôle de la technique dans ces changements.

Dans cette partie, nous avons présenté les premières approches du lien entre technique et société. Cette première période est marquée par la prédominance des théories de K. Marx qu’une première lecture associe à l’approche déterministe technologique même s’il ne décrit pas un lien unidirectionnel entre ces deux éléments. En effet, ces théories décrivent une co-évolution de la technique et du social mais elles insistent sur le poids majeur de la technique et tendent donc à présenter une histoire parallèle à l’évolution technique.

Le déterminisme technologique simple permet de penser la logique interne de développement des techniques ainsi que l’influence de la technique sur la société. Néanmoins, cette approche doit être relativisée. Il existe une marge de manœuvre dans l’usage des techniques comme le montre G. Friedmann. De plus, les techniques sont déterminées par les conditions économiques et sociales de leur invention selon P. Naville. Enfin, le social peut résister à l’influence de la technique comme dans le cas de la conscience des ouvriers de la phase C décrits par A. Touraine. G. Simondon permet d’affiner la définition de la logique interne du développement technique comme un mouvement vers la concrétisation et l’individualisation.

Dans les deux parties suivantes, nous exposerons successivement les deux principales critiques qui ont été adressées à cette première approche et comment ces critiques ont entraîné la naissance de deux approches de la technique : la co-influence et le constructivisme qui évoluera sous la forme de la co-construction.