2. La deuxième approche du lien entre technique et société : la co-influence, première critique du déterminisme technologique

Dans cette partie, nous présenterons le développement d’une deuxième lecture de l’œuvre de K. Marx à partir de laquelle des auteurs vont développer une nouvelle approche du lien entre technique et société que D. Vinck31 nomme la co-évolution ou co-influence. L’approche du déterminisme technologique simple a permis de montrer qu’il existait une logique interne au développement technique et que la technique influençait la société, les auteurs que nous avons présentés dans la partie précédente permettent de préciser ces deux aspects en montrant notamment les interactions entre domaines technique et social. Néanmoins, ils restent attachés à l’idée d’une indépendance de la technique. La co-influence se caractérise par la mise sur un pied d’égalité de ces deux domaines. Avec ces théories, il n’est donc plus possible de parler de détermination de l’histoire par la technique et les théories vont chercher à préciser le type d’influence que le social a sur la technique.

La sociologie du travail s’est progressivement éloignée du thème de la technique en s’intéressant d’avantage aux formes de l’emploi ou de l’entreprise, en délaissant la question des qualifications et en s’intéressant d’avantage à la créativité ouvrière qu’aux contraintes pesant sur elle. Cette perte d’influence a souvent été interprétée comme une rupture par rapport au stade de la société industrielle. Ces analyses sont basées sur le fait que le nombre d'emplois dans les industries a largement diminué dans les pays industrialisés au profit des emplois dans le secteur des services. Néanmoins des chercheurs continuent à se rattacher à la sociologie du travail en argumentant que ces analyses sous-estiment l'importance de la production dans le monde contemporain : la production n'a pas disparu, elle a changé de forme. Si certaines usines nécessitant de la main d'œuvre non qualifiée ont notamment été délocalisées dans les pays en développement, le rôle de l’industrie dans l'économie et la vie sociale est toujours central. A partir des années 1970-1980, on assiste à un retour de la question de la technique dans la sociologie en général. Dans la sociologie du travail, ce retour d’intérêt se traduit par le fait qu’une série d’auteurs va se saisir de la deuxième lecture de l’œuvre de K. Marx pour retravailler les liens entre objets techniques et société dans le cadre du travail.

Cette nouvelle lecture de l’œuvre de K. Marx n’a pas été développée seulement en France et des auteurs rattachés au marxisme comme H. Braveman ou D. Noble ont travaillé la question du lien entre capitalisme et technique. Dans la sociologie française, le renouveau d’intérêt pour la question technique a également été visible. Dans ce travail, nous rendrons compte de trois écoles de cette branche de la sociologie ayant traité de la question du rapport entre technique et société : l’analyse sociétal, la sociologie de l’activité et une approche systémique de la technique inspirée des travaux de la cybernétique de N. Wiener et de l’histoire des sciences.

Notes
31.

VINCK D., op. cit., 1995.