3.1.Le constructivisme social

Les approches de « construction sociale » de la technique mettent en avant l’influence du social sur les objets techniques en montrant que le rôle du contexte social sur l'évolution n'est pas seulement de faciliter ou de retarder la découverte ou la diffusion de nouvelles techniques mais qu’il agit également sur la nature de ce qui est découvert. Ce courant est issu de la sociologie des sciences, une branche de la sociologie ayant plus d’un siècle d’expérience mais qui a connu un renouveau et doit sa vitalité actuelle au programme « fort » de D. Bloor63 et de l’université d’Edimbourg. Leur but était de montrer que la science est une activité sociale comme une autre. Leur analyse repose notamment sur le concept de « symétrie » qui refuse de faire une distinction entre les expériences réussies, c'est-à-dire menant à la construction d’un savoir scientifique, et les échecs. Ce programme a eu une influence majeure sur le développement des recherches sur la science, entraînant la naissance d’un ensemble de recherches regroupées sous le nom d’étude sociale des savoirs (SSK Social studies of knowledge). D. Pestre64 note que ces recherches ont lieu dans un contexte de critique de la science, ce qui explique la volonté de montrer que la science est une institution qui sert les pouvoirs et fonctionne de manière autoritaire puisqu’elle masque ses énoncés en les naturalisant. Les études sociales des savoirs se sont également intéressées aux techniques avec le même objectif. Si aujourd’hui la sociologie des techniques se sépare de la sociologie des sciences, elle garde les mêmes origines, souvent les mêmes chercheurs, les mêmes méthodes, les mêmes concepts et le même projet : montrer qu’aucune activité de l’homme n’est indépendante de la société. C’est à ce courant issu de la sociologie des sciences que l’analyse des objets en sociologie doit son renouveau et la majeure partie de son activité actuelle.

L’approche constructiviste sociale ne doit cependant pas être considérée comme l’inverse du déterminisme technologique. Ce courant met effectivement en lumière une relation entre technique et social inversée par rapport au déterminisme technologique : ce n’est plus la technique qui influence le social mais le social qui influence la technique. Cependant les relations décrites entre ces deux entités sont d’une autre nature. Le déterminisme technologique considère que l’influence des techniques est de l’ordre de la causalité. Le constructivisme social considère que les techniques sont construites socialement, c’est-à-dire qu’elles sont le fruit d’une situation historique et sociale particulière : le lien entre technique et social n’est pas un lien de causalité mais de construction. Selon ce courant, le social participe à la définition même de ce que sera la technique.

Ce courant a d’abord été développé dans la sociologie anglo-saxonne sous l’influence de chercheurs essayant d’appliquer le programme « fort » à la technique. Il est également devenu l’un des champs de recherche privilégié des « social studies ». Dans la sociologie française, il a également inspiré de nombreux auteurs.

Notes
63.

BLOOR D., Knowledge and Social Imagery, University Of Chicago Press, Chicago, 1991.

64.

PESTRE D., « Etudes sociales des sciences, politique et retour sur soi, élements pour sortir d’un débat convenu », Revue du Mauss, 2001-1, N°17, pp 180-196.