2.1.Le choix de la notion de carrière

Nous utilisons le terme de « carrière » pour créer un parallèle avec le concept créé dans le cadre de l’interactionniste symbolique. Le concept a été utilisé pour la première fois par E. Hughes103 dans son étude des professions pour analyser le travail et les groupes professionnels, mais a été repris plus largement par E. Goffman pour décrire les comportements des malades dans un hôpital104 ou par H. Becker pour décrire le développement de l’usage d’une drogue105. C’est un modèle diachronique qui prend en compte les changements du comportement dans le temps. Pour H. Becker « en réalité toutes les causes n`agissent pas au même moment : il nous faut donc un modèle qui prenne en compte le fait que les modes de comportements se développent selon une séquence ordonnée » 106. La compréhension du comportement final passe par l’explication de chaque phase intermédiaire. Cette conception implique une attention à la dimension temporelle des faits, toujours conçus comme des processus et non comme des états.

Le concept de carrière ouvre donc une autre perspective que celui de « cycle de vie » qui est généralement utilisé en science du management. Le « cycle de vie » fait référence à des étapes que traverserait un produit ou un service et est uniquement orienté vers le marché. Il est alors centré sur le point de vue du producteur. Ainsi, la « vie » du produit est conçue comme sa présence dans le marché. Sa naissance correspond à sa commercialisation et à l’inverse sa mort se réalise lorsque il est remplacé. Le terme a été repris par les sciences de l’ingénieur dans un sens plus large prenant en compte les périodes antérieures, c’est-à-dire l’invention et les périodes ultérieures notamment les modalités de fin de vie effective, c’est-à-dire sa destruction ou son recyclage. Le but est d’évaluer notamment l’impact du produit sur l’environnement sans prendre en compte sa seule utilisation. Le « cycle de vie » des sciences de l’ingénieur correspond donc à l’ensemble de la vie d’une technique ou même d’une génération de technique. Il prend donc en compte l’ensemble des objets créés, utilisés et détruits.

L’approche en terme de carrière diverge par l’échelle de l’étude : il s’agit moins d’une approche de l’ensemble des objets qui composent la technique que d’une étude plus minutieuse d’un objet technique. Cette orientation vers le micro permet de réintroduire non seulement les aspects dépendant des sciences de l’ingénieur (techniques et environnementaux) mais également les aspects sociaux de la vie de l’objet en question.

Notes
103.

HUGHES E., Men and their work, Greenwood Press, Westport, 1981

104.

GOFFMAN E., Asile, Ed. de Minuit, Paris, 1972.

105.

BECKER H., Outsiders, Etude de sociologie de la déviance, Ed. Metailé, Paris, 1985.

106.

BECKER H., op. cit., 1985, p. 46.