2. Les spécificités de la comparaison internationale

Il semble également intéressant de suivre la démarche proposée par les auteurs de l’ouvrage collectif : Stratégie de la comparaison internationale dirigé par M. Lallement et J. Spurk119. En sociologie, la comparaison doit être une combinaison de deux approches. La première repose sur une analyse relationnelle et synchronique qui tient compte de la complexité inhérente à chaque société, c’est-à-dire les relations multiples entre les paramètres utilisés pour la modélisation des sociétés comparées. La deuxième approche est une étude diachronique qui remet les éléments comparés dans leur contexte historique.

M. Lallement120 propose d’utiliser le terme de traduction. Le terme n’est pas utilisé comme un concept pour décrire l’activité sociale comme chez M. Callon et B. Latour. Il s’agit d’un outil pour établir une équivalence temporaire entre des espaces différents dans le cadre d’une comparaison internationale. En effet, cette discipline de la linguistique est confrontée à un dilemme similaire à celui de la comparaison internationale : la traduction/trahison. Elle progresse en dressant des équivalences temporaires entre les termes de deux langues différentes qui désignent des objets réels proches même s'ils ne sont pas exactement les mêmes. Cette construction est temporaire et permet une meilleure compréhension de l'autre langue et de sa culture, ce qui permet dans un second temps d’affiner les équivalences. En agissant ainsi, la traduction permet également d'améliorer la compréhension de notre langue en interrogeant les éléments que nous considérons comme normaux. Pour résoudre le dilemme de la traduction, il est nécessaire de construire une histoire de la logique qui nous permette d’éclairer la capacité de l’homme à concevoir des schèmes conceptuels par le biais de conventions et à développer sa connaissance. Il faut comprendre la manière dont l’homme a conçu les traductions en créant des conventions. Ainsi, l’association entre un terme et sa traduction doit rester provisoire et cela nécessite de prendre en compte le poids des conventions socio-historiques.

En ce qui concerne la comparaison internationale, la pertinence scientifique doit donc être limitée au fait de connaître les instruments utilisés pour les construire. Il faut formaliser les « trucs », le « bricolage » qui a été nécessaire pour mettre en parallèle, « traduire » d’un univers à l’autre. M. Lallement conseille donc de fonctionner en tendance et de recourir à la typologie plutôt qu’à la nomologie car fabriquer un modèle élémentaire par segmentation raisonnée permet de transcender les catégories problématiques. Enfin, il faut éviter de tomber dans le piège des catégorisations fixistes.

La méthode qu’il propose est composée de deux étapes : déconstruire et reconstruire. La déconstruction concerne les équivalences sommaires notamment les données statistiques mais également les conventions de passage entre deux sociétés comme l’argent ou la langue. La deuxième étape est la reconstruction. Comme le montre J. Spurk121, le principal problème épistémologique posé par la comparaison internationale est qu’elle oscille entre la logique du « même », c’est-à-dire un point de vue universaliste et celle de « l’autre », c’est-à-dire un point de vue relativiste. Or, pour fonctionner, la comparaison internationale doit mettre en place des parallèles entre deux sociétés complètement différentes. M. Lallement conseille donc de raisonner à la fois en différences et en similitudes entre les termes comparés. Cette reconstruction passe alors par quatre impératifs joints. Le premier est repérer des thématiques communes aux espaces comparés. Le second est de les problématiser à l’aide des catégories analytiques pertinentes pour les espaces étudiés pour en déduire dans un troisième temps des notions transnationales. Enfin, le quatrième point est de mettre en place des outils d’analyse conceptuels qui se réfèrent aux problèmes communs.

Le sujet de notre recherche est centré sur la construction d’un modèle d’analyse du lien entre objet technique et société. La comparaison internationale est utilisée comme un moyen de distinguer ce qui appartient à l’ordre du particulier (propre à un pays) de ce qui est de l’ordre du général (propre aux objets techniques). Dès lors, nous mettons d’avantage l’accent sur la construction de notions transnationales que sur la mise en évidence de différences de problématisation entre les deux espaces observés.

Notes
119.

LALLEMENT M., SPURK J., Stratégie de la comparaison internationale, CNRS édition, Paris, 2003.

120.

LALLEMENT M., « Raison ou trahison ? Éléments de réflexion sur les usages de la comparaison en sociologie », in LALLEMENT M., SPURK J., Stratégie de la comparaison internationale, CNRS édition, Paris, 2003.

121.

SPURK J., « Epistémologie et politique de la comparaison internationale », in LALLEMENT M., SPURK J., Stratégie de la comparaison internationale, CNRS édition, Paris, 2003.