2. La phase intermédiaire

A partir de la fin de la première année, nous avons fait un point sur ce que nous savions au travers de la rédaction d’un document intermédiaire pour chaque étape, reprenant les résultats de l’enquête exploratoire. Faute de temps, nous n’avons pas pu aller au bout de cette démarche et la rédaction des documents intermédiaires n’a pas été achevée. Néanmoins, ce travail nous a permis de faire un point sur les recherches effectuées et les données recueillies.

Pendant la première moitié de la deuxième année, nous avons conduit ce travail en parallèle avec la fin du travail exploratoire sur certains terrains. Selon la méthode de M. Lallement, l'objectif était de construire des ponts entre les deux sociétés ou mondes comparés pour permettre la comparaison par un mécanisme de traduction, c'est-à-dire de rapprochement provisoire de termes de chacun de ces mondes qui se rapprochent même s'ils ne sont pas identiques. Ces « traductions » nous ont servi à rapprocher nos problématiques (niveau un) des résultats de nos enquêtes (niveau cinq), en faisant des allers-retours entre la théorie et le terrain. Nous avons ainsi arrêté le choix problématique autour du débat entre les deux approches du lien entre objets techniques et sociétés : co-construction et co-influence. Nous avons également commencé à opérationnaliser notre problématique (niveau deux) en essayant d’imaginer toutes les réponses possibles à notre problématique, tant à partir de nos réflexions théoriques que de nos premières recherches de terrain.

Une fois la phase exploratoire terminée, il existe deux possibilités théoriques : une méthode plus explicative et une méthode plus compréhensive. Ces deux possibilités reposent sur la temporalité de l’analyse. Dans le premier cas, on effectue l’analyse (ou la réduction) a priori, c’est-à-dire en suivant une démarche de déduction (c’est-à-dire le mouvement qui va du général au particulier, de la théorie à la pratique). Dans ce cas, il s’agit de construire la thèse à partir de réflexions issues de l’état de l’art. La deuxième possibilité est d’effectuer l’analyse (ou réduction) a posteriori, c’est-à-dire en suivant une démarche d’induction (c’est-à-dire le mouvement qui va du particulier au général, du terrain vers la théorie). Dans ce cas, après la phase exploratoire on établit juste une liste de thèmes à rechercher pendant le travail de terrain. L’analyse s’effectue après le terrain.

Le premier choix entraîne l’utilisation d’une grille rigide mais donne plus de garanties en ce qui concerne la vérification des hypothèses alors que le second choix donne la possibilité de modifier la grille de lecture mais ne garantit pas le même degré de véracité. Nous avons choisi une approche intermédiaire qui consiste à formuler des hypothèses assez larges pour être modifiées mais assez précises pour s’assurer que les objets d’étude des deux sociétés seront comparables. En quelque sorte, il ne s’agit pas boucler la liste des hypothèses dès la phase intermédiaire mais de les cerner petit à petit par un processus d’affinage. Après la phase intermédiaire de notre recherche, nous avions donc commencé à formuler toutes les réponses possibles à notre problématique, chacune pouvant constituer une thèse en soi.

Cette phase intermédiaire nous a également permis de mettre au point une méthodologie et de cibler les recherches qu’il restait à effectuer en fixant un calendrier de recherche pour chaque étape.

L’invention de l’objet a eu lieu en France dans le cadre d’une équipe projet impliquant différentes directions de Renault Trucks. Pour nous, il s’agissait de reconstruire le processus qui a abouti à la mise au point du moteur en s’intéressant aux innovations comme aux techniques qui ont été reprises d’autres modèles. Pour cela, nous avons conduit des entretiens avec au moins un membre de l’ensemble des directions de Renault Trucks impliquées dans l’équipe projet. Chez Renault Trucks, l’invention est divisée en plusieurs étapes : la recherche sur le marché, la planification des développements des produits, la recherche avancée et les projets de développement. Nous avons ainsi également décidé de planifier des entretiens sur la phase amont de l’équipe projet. La comparaison semble sur ce point difficile car il n’y a pas d’invention du moteur à proprement parler en Chine. Néanmoins, le moteur a fait l’objet d’un choix selon une vision du marché et des constructeurs, ce qui correspond à la phase amont du projet en France. De plus, le moteur n’a pas été transféré sans changement. Pour répondre aux exigences du marché chinois, Dongfeng Limited a été obligé d’apporter d’importantes modifications. Enfin, l’histoire du transfert de technique a eu des effets sur l’objet technique transféré. Cette adaptation et les interactions entre Renault Trucks et Dongfeng Limited que ont été comparées avec la phase d’invention dans le cadre de l’équipe projet du moteur dCi 11 en France.

Pour le deuxième moment de la carrière du camion, nous avons décidé de comparer principalement les unités d’assemblage de Renault Trucks et celles du constructeur chinois. En ce qui concerne la fabrication des pièces, en plus de la ligne de montage, nous avions choisi de travailler sur cinq pièces. Malheureusement, les contraintes de temps et du secret industriel (chez Renault Trucks, la fabrication des composants est généralement externalisée) nous ont empêché de mener ce projet à terme. Nous n’avons pu reconstituer l’ensemble de l’étape de fabrication pour certaines des cinq pièces en France et en Chine. Parallèlement, nous avons décidé de suivre les modifications apportées au moteur après sa commercialisation pour des raisons de qualité ou de baisse des coûts.

En ce qui concerne la troisième étape, l’étude porte sur la vente des camions en France et en Chine. Cette étape se déroule sur le marché des camions et donc est constituée d’une offre et d’une demande dans un contexte donné (juridique et économique mais également social).

Enfin, nous avons décidé de comparer l’utilisation des camions dans les deux pays à plusieurs niveaux. Cette étape comporte tout d’abord une adaptation de l’objet technique réalisée par l’entreprise de transport. Ensuite, elle est composée de l’utilisation logistique (qui met en relation une offre et une demande de transport dans un contexte) et de l’utilisation concrète, c’est-à-dire la conduite par les chauffeurs. En ce qui concerne cet aspect, nous avons décidé de nous appuyer sur la pratique de la conduite dite rationnelle pour comparer l’utilisation que les chauffeurs font des moteurs. Nous avions également la volonté d’utiliser un logiciel de Renault Trucks embarqué dans le camion qui permet de connaître les caractéristiques de l’utilisation par les chauffeurs.

Pour finir, nous nous sommes également intéressé aux modalités de remplacement des camions en France et en Chine pour étudier la « mort » de l’objet selon les conseils de M Akrich. Entre la troisième et la quatrième étape, il peut également exister une phase de réparation ou de maintenance. En France et en Chine, elle peut se dérouler chez le transporteur, un concessionnaire de la marque ou un réparateur tiers et il était donc important que nous puissions réaliser des enquêtes chez des représentants de ces trois catégories.