1. La question de la comparaison des données issues de terrains différents

En effet, dans notre travail, la comparaison des données recueillies au cours de notre recherche est problématique. Notre travail repose sur une comparaison de la carrière de l’objet technique dans deux pays mais également une comparaison des étapes entre elles. Pendant notre travail de recherche, des différences sont apparues. Elles étaient liées au type de données récoltées, à l’accessibilité des terrains, à la différence de maîtrise de la langue et plus généralement à un terrain que nous connaissons « trop » bien par rapport à un terrain que nous ne connaissons « pas assez » bien.

La question de la traduction est la plus évidente. La majorité de nos entretiens en Chine ont été réalisé en chinois avec des traducteurs. Certains ont également été conduits en anglais, ce qui n’était pas la langue maternelle de l’interviewé ni de l’intervieweur. Nous avons suivi des cours de chinois pendant les trois années de notre recherche mais notre niveau de maîtrise de cette langue ne nous permet pas de mener des entretiens sociologiques. Nos notions de chinois nous ont néanmoins permis d’assurer un certain contrôle sur la manière dont se déroulaient les entretiens. Si nous ne comprenions pas tout ce qui était dit, nous pouvions nous faire une idée générale du contenu des réponses et des réactions de l’interviewé. Notre connaissance nous a également permis d’aider les traducteurs pour des termes techniques pointus propres au transport ou au moteur. Lors de nos deux premières missions en Chine, nous avons demandé aux vendeurs de Renault Trucks en Chine d’assurer la traduction lors de nos entretiens. Cette solution avait l’avantage de recourir à des personnes connaissant bien le secteur du transport, son vocabulaire ainsi que les manières de faire. Néanmoins, cela entraînait des limites importantes pour notre travail : certains vendeurs répondant selon leur connaissance du transport et non selon ce que l’interviewé répondait. De plus, les réponses obtenues étaient influencées par la tendance des vendeurs à vanter le mérite des produits Renault Trucks au détriment des autres marques. Ces premiers entretiens nous ont donc appris autant sur les transporteurs que nous avons visité que sur les pratiques et les manières de penser des vendeurs. A partir de notre troisième mission, nous avons recouru aux services d’interprètes privés formés dans les universités chinoises. Ceci nous a permis de réaliser des visites purement sociologiques et de nous détacher des besoins de la filiale commerciale de Renault Trucks en Chine avec qui nous avions jusqu’alors dû négocier l’intérêt d’une visite. Ce choix nous a également permis de recourir à des personnes ayant une meilleur connaissance de l’anglais ou du français même s’il a fallu passer du temps à les former au vocabulaire spécifique du camion et du moteur. Nous avons essayé de travailler le plus de temps ensemble possible avec le même interprète pour connaître les « vices de traduction ». Au cours de nos missions, nous avons eu des niveaux de traduction différents et nous avons souvent dû adapter le contenu de l’entretien aux capacités du traducteur. Lorsque la traduction était approximative, nous avons centré nos questions sur des faits en essayant de multiplier les entretiens pour collecter le plus de données possibles. Au contraire, lorsque la traduction était de meilleure qualité, nous avons essayé d’approfondir qualitativement nos données en se centrant sur le ressenti des individus. Nous avons alors essayé de réaliser des entretiens plus longs et donc en moins grand nombre.

En ce qui concerne la question de la nature des données, la plus prégnante est la comparativité entre des données recueillies par entretiens et celles issues d’observations directes. En effet, en raison de refus, nous n’avons parfois pas eu accès aux mêmes terrains entre les deux pays. Ainsi, nous avons pu visiter la fonderie en Chine mais pas en France puisque Renault Trucks avait externalisé cette fonction et que le fournisseur voulait protéger son savoir faire vis-à-vis du constructeur chinois. A l’inverse, pour les concessions en Chine, nous n’avons pu conduire que de brèves observations alors que nous avons pu réaliser une mission de deux semaines en France. Dans les deux cas, sur les terrains auxquels l’accès a été limité ou interdit, nous avons essayé de compenser le manque d’informations en multipliant les entretiens avec des personnes d’origines différentes pour accéder à différents points de vues. Nous avons ainsi réalisé six entretiens sur la fonderie avec des personnes issues du service recherche et développement, de la vente dont une personne ayant travaillé chez le fournisseur auparavant. Au sujet des concessions en Chine, nous avons réalisé six visites d’établissements Dongfeng Limited, une visite d’une concession d’une autre marque et deux visites de réparateurs indépendants.

Certaines étapes, comme l’innovation ou le transfert, avaient déjà été réalisées quand nous avons commencé notre recherche. Ces terrains ont uniquement pu être reconstruits au travers d’entretiens. Là encore notre démarche a été de multiplier les entretiens avec des personnes d’origines différentes. Ainsi, en ce qui concerne l’innovation en France, nous avons réalisé plus de vingt entretiens et rencontré des représentants de toutes les branches de Renault Trucks impliquées dans le développement. Pour cette étape en Chine, nous n’avons pu rencontrer qu’un nombre limité d’employés ayant participé à l’adaptation néanmoins nous avons pu avoir accès à des documents relatant les principales étapes du processus. De même, une grande partie de la réalisation du transfert de technologie avait été effectuée et nous n’avons assisté qu’à la fin du processus : aux dernières « joint planning sessions » et certaines assistances. Pour connaître ce processus nous avons réalisé neuf entretiens dans les services de Renault Trucks ayant participé à ce projet ainsi que huit entretiens avec des employés de Dongfeng Limited ayant directement participé au projet.

Enfin, dans certains cas notre observation n’a pas porté sur la carrière « normale » du dCi 11. Ainsi, la plus importante limite de notre travail est que nous n’avons pas été en mesure de réaliser une mission chez des transporteurs ayant acheté un véhicule équipé du moteur dCi 11 fabriqué par Dongfeng Limited en raison de leur faible vente. Néanmoins, nous avons visité de nombreuses entreprises ayant acheté des véhicules fabriqués en Chine à partir de technologies étrangères ainsi que des véhicules importées. De plus, nous avons réalisé deux missions d’une semaine dans des entreprises utilisant des véhicules avec des moteur dCi 11 fabriqué par Renault Trucks. En ce qui concerne les problèmes spécifiques du moteur dCi 11 fabriqué par Dongfeng Limited, nous avons réalisé un entretien avec le responsable de la phase maintenance du projet moteur du constructeur chinois et eu accès à un document relatant les problèmes qualités qui se sont produits depuis sa commercialisation.

En ce qui concerne l’étape de fabrication, les processus que nous avons observés étaient dans les deux cas des processus de fabrication dégradés mais pour des raisons différentes. En France, comme la chaîne de production allait être arrêtée, les procédures qualité n’étaient plus appliquées et la maintenance des machines avait été négligée. En Chine, quand nous avons réalisé nos observations, les procédures de montage n’étaient pas encore complètement définies puisque peu de moteurs avaient déjà été produits. Dans les deux cas, nous avons réalisé deux observations ce qui nous a permis de nous rendre compte de différences et nous tiendrons compte de ces remarques dans notre analyse.