2.1. Première hypothèse : la variation temporelle

Au sujet du statut de l’objet, notre première hypothèse est que celui-ci passe du statut « d’hybride socio-technique » à celui de « substrat de la rationalité technique » et inversement pendant sa carrière. Cette hypothèse est liée au type de lien entre objets techniques et social : il se produirait un phénomène de co-construction entre technique et social quand l’objet est dans un statut d’hybride, c’est-à-dire lorsqu’il est plus proche d’un projet que d’un objet physique. Inversement, lorsque l’objet technique se rapproche de l’état d’objet physique, il entrerait dans une relation de type co-influence. Nous utilisons volontairement les termes « proche d’un projet » et « proche d’un objet physique » car pendant la phase d’invention un objet technique peut être composé d’organes dont les solutions techniques ont été trouvées et qui sont donc des objets physiques et d’autres moins bien définis ou pour lesquels la solution technique n’a pas encore été validée.

Schématiquement, l’innovation pourrait être découpée en deux phases : la définition du projet et la matérialisation de l’objet physique.

La première consisterait à construire un accord entre les acteurs sur une définition de l’objet. Ce processus s’accomplirait sous la forme d’une co-construction sociale et technique. Lorsque l’objet technique est à l’état de projet, il est hybride. En effet, la manière dont on pose le problème et dont on oriente la recherche de solutions passe par une construction qui mêle de manière indifférenciée les aspects sociaux et techniques.

Dans la seconde phase, il s’agirait de matérialiser ce projet dans un objet physique. Il faudrait trouver des solutions techniques pour répondre à la définition mise en place. Si la recherche de réponse est orientée par une co-construction entre aspects sociaux et techniques, la solution appartient en propre au domaine physique. Les solutions techniques sont découvertes et non inventées car leur existence ne dépend pas de la connaissance qu’en ont les acteurs. Cette phase s’accomplirait alors sous la forme d’une co-influence telle que le décrit B. Gille entre les systèmes technique et social.

Cette première hypothèse est simplificatrice : dès que l’objet commence à se matérialiser les deux statuts de l’objet coexistent. L’objet technique physique ne remplace pas les représentations que les acteurs ont de cet objet. De même pendant les phases d’utilisation, les acteurs interagissent avec l’objet technique mais également avec une représentation de cet objet. L’hypothèse d’une variation temporelle du statut de l’objet technique n’est donc pas suffisante pour expliquer la coexistence des deux statuts de l’objet technique et des deux types de lien entre techniques et social.