2.4.La troisième série de boucles de développement : la phase « maintenance » de l’équipe projet

Après la commercialisation du moteur, l’équipe projet de Renault Trucks n’est pas dissoute. Elle entre dans la phase « maintenance » du projet. Le but recherché est que les concepteurs suivent le projet jusqu’à la fin du cycle de vie du moteur et puissent y apporter des modifications en fonction des besoins. Cette phase est considérée comme moins importante ; la majorité des personnes quitte alors l’équipe, le reste ne se réunissant qu’une fois par semaine. Cette équipe projet réduite a alors principalement deux missions : la baisse des coûts et les modifications du produit liées aux problèmes de qualité.

La principale mission de l’équipe est de réaliser les baisses de coût demandées par la direction. L’équipe projet doit alors répercuter cette baisse sur les différents fournisseurs en leur imposant un prix réduit pour les pièces. Si le fournisseur accepte la baisse, il peut modifier le produit ou le processus de production pour réduire son coût de revient ou alors perdre la marge dont il bénéficiait. Si le fournisseur n’accepte pas la baisse, l’équipe projet entame alors une procédure de changement de fournisseur. L’objectif de baisse du prix entraîne donc parfois des modifications du produit par le fournisseur. L’équipe projet doit alors mettre en place une procédure pour valider les modifications. Ces changements entraînent également un risque qualité comme le montre les problèmes liés au changement de fournisseur lors du transfert de l’usinage de l’arbre à cames.

Comme pour la deuxième série de boucles de développement, peu de modifications du produit ont été conduites pendant la phase maintenance. Aucun des membres de l’équipe projet que nous avons rencontrés ne se souvenaient des défauts qu’ils avaient eus à traiter. Ils ont tous insisté sur le fait que leur tâche essentielle était de mener la baisse du coût du moteur et que peu de temps était consacré à la question de la qualité. De plus, une grande partie des problèmes de qualité ont été traités par le service qualité de l’usine qui était responsable de la qualité du produit. La majorité des problèmes de qualité du moteur ont été traités comme des problèmes de processus de fabrication et résolus directement par les centres de production concernés.

Tous les problèmes rencontrés par le moteur dCi 11 ne sont pas pris en charge par le constructeur. L’intervention de l’équipe de la phase maintenance ou du service qualité de l’usine moteur est soumise au fait que la panne soit diagnostiquée comme étant un problème de qualité. Pour cela, il s’agit de déterminer que le problème n’est pas dû à une « mauvaise utilisation » ou à une usure « normale » des composants. Il est difficile d’évaluer la cause des pannes et les points de vue diffèrent souvent entre le constructeur et les transporteurs.

Ainsi, les problèmes les plus courants sur les véhicules équipés d’un moteur dCi 11 sont liés à une usure des boites de vitesse. Pourtant, le constructeur n’a jamais considéré cela comme un problème de qualité en argumentant que l’usure des boites était favorisée par de mauvaises utilisations, par exemple lorsqu’un chauffeur utilise une vitesse qui n’est pas adaptée à la vitesse du véhicule. A l’inverse, l’usure des boites de vitesse est perçue par les transporteurs comme un défaut de qualité, estimant que le constructeur devrait fournir des boites plus résistantes. La détermination de la cause d’une panne passe donc par la construction d’un accord sur ce qu’est l’usage normal du véhicule. Dans ce cas, aucun consensus n’a été atteint. La cause de la panne est souvent déterminée en tenant compte de la couverture ou non du véhicule par la garantie. Une panne détectée pendant la période de garantie est presque toujours diagnostiquée comme un défaut de qualité. Les questions de sécurité sont également plus facilement considérées comme des défauts de qualité. En ce qui concerne le moteur, il s’agit principalement des risques de fuite gasoil qui peuvent entraîner des incendies. Cet exemple permet de voir comment des prises sur les objets techniques sont construites. Le même objet matériel, la boîte de vitesses endommagée, est interprété comme un problème de qualité ou un défaut d’utilisation selon la durée de son utilisation ou selon le type d’acteur, constructeur ou transporteur.

Cette équipe devait également réaliser les évolutions du produit après sa commercialisation en 2001. Dans le cas du moteur dCi 11, ces évolutions ont été limitées. La seule évolution majeure effectuée a été l’adaptation à la deuxième version de la norme Euro 3. En effet, dès le rachat de Renault Véhicules Industriels par le groupe AB Volvo, en 2002, il était prévu que les moteurs de Renault Véhicules Industriels soient progressivement remplacés par ceux de Volvo. Le moteur ne connaît alors plus de développement et le constructeur va progressivement se désengager de sa production en externalisant la production d’un nombre de plus en plus important de pièces, jusqu’à ce qu’il ne réalise plus que le montage. Les fournisseurs choisis sont souvent des fournisseurs développeurs à qui le constructeur confie l’évolution de leurs pièces.