2. Généralisation sur la carrière de l’objet technique pendant l’innovation : les boucles d’interactions entre les formes de l’objet

L’innovation d’un objet technique est réalisée par la mise en place de boucles de développement. Ces boucles font passer l’objet technique par ses trois formes, l’objet physique dans le système technique, les représentations de l’objet dans le système social et l’objet intermédiaire qui est un hybride sociotechnique.

Le point de départ des processus d’innovation diffèrent selon les pays mais également entre différentes séries de développement. En effet, la boucle de développement peut débuter avec la construction d’un objet intermédiaire dans un réseau en traduisant les perceptions que les acteurs ont du contexte ou à partir des représentations des objets physiques existants dont on évalue les caractéristiques en construisant des prises. L’objet intermédiaire est ensuite questionné en anticipant les contraintes du domaine technique. Néanmoins cette anticipation mêle également des logiques sociales. Généralement, dans les premières boucles de développement, le questionnement de l’objet intermédiaire est davantage basé sur les perceptions du contexte et au fur et à mesure du développement, il se déplace sur l’objet technique. Mais il existe également des différences entre les pays. Chez Dongfeng Limited, le processus de questionnement accorde dès le début plus de poids aux représentations des objets physiques existants.

En ce qui concerne les solutions techniques apportées à ce questionnement, là encore, celles-ci peuvent être construites de manières différentes. Les solutions techniques peuvent être trouvées par un processus de théorisation a priori dans lequel le réseau organise ses représentations du système technique pour trouver différentes solutions. Les solutions peuvent également être sélectionnées en opérant une hiérarchisation du panel des techniques disponibles immédiatement que l’on testera par la suite pour vérifier l’adéquation entre les caractéristiques de la technique choisie et les attentes.

Les boucles de développement correspondent au schéma général des interactions entre les différentes formes de l’objet technique. Des représentations de l'objet sont traduites dans un objet intermédiaire. Celui-ci est alors matérialisé dans un objet matériel qui donne naissance à de nouvelles représentations. Ce processus peut être utilisé pour décrire toute action technique en lien avec des objets. Il est résumé dans la figure ci-dessous (Cf. Figure 12 La configuration des interactions entre les formes de l’objet technique pendant l’innovation). La forme du cylindre marque la distinction analytique entre deux domaines qui sont en interrelations.

Dans un premier temps, les représentations de l’objet des membres du réseau sont traduites dans un premier hybride sociotechnique qui définit des caractéristiques souhaitées pour le futur objet. Cet objet intermédiaire mêle une évaluation des objets techniques existants (prototype ou anciens moteurs) et des perceptions du contexte. Vis-à-vis des représentations, l’objet intermédiaire marque un double changement : la passage du commun au collectif au travers la construction de consensus sur la définition de l’objet et un changement de langage puisque l’objet intermédiaire doit pouvoir être matérialisé. Pour effectuer cette traduction, les membres du réseau questionnent l’objet intermédiaire et cherchent des solutions techniques. A ce moment, les solutions techniques peuvent être de deux ordres : soit une sélection parmi les objets techniques existants, soit une sélection parmi les solutions théoriques existantes. Les outils mis en place par l’approche de la co-construction sont les plus adaptés pour décrire ce processus qui mêle indistinctement logiques sociales et techniques. L’objet intermédiaire repose sur la confrontation de représentations de l’objet qui dépendent de facteurs techniques mais qui sont évaluées en fonction des perceptions du contexte. Le questionnement de l’objet intermédiaire repose sur une anticipation des contraintes du domaine physique et des systèmes techniques et dépend de logiques sociales. La liste des réponses possibles dépend de perceptions sociales des systèmes techniques (les « revers saillants ») et de l’histoire du développement des techniques (« path dependency »). Enfin, le choix entre les différentes solutions est le résultat d’un processus mêlant aspects techniques et sociaux sans discernement.

Les solutions sont ensuite réalisées sous la forme d’objets physiques, ce qui permet une double confrontation au domaine physique et aux systèmes techniques. La première est réalisée par le passage de la solution technique théorique à l’objet technique. La seconde est réalisée au travers de tests permettant d’évaluer les caractéristiques techniques des objets physiques. Il s’agit d’une confrontation aux contraintes du domaine physique (liées à l’ontologie propre des objets matériels) mais également aux systèmes techniques. Les structures issues de différents systèmes ont un mode de fonctionnement particulier et pose des problèmes de cohérence lorsqu’elles sont combinées. Les résultats de ces tests sont réinterprétés par les membres du réseau provoquant éventuellement une modification des représentations du système technique qui peut faire évoluer les solutions techniques considérées. Le choix des techniques (construction de l’objet intermédiaire, questionnement et sélection d’une réponse technique) et l’évaluation de l’objet matériel sont des processus qui mêlent aspects techniques et sociaux. Néanmoins, la matérialisation des solutions techniques entraîne une confrontation directe avec les contraintes propres au domaine physique et aux systèmes techniques. Dans ce processus, il n’est plus question d’entremêlement entre logiques sociales et techniques mais d’interaction et chaque domaine garde son indépendance.

Les résultats de la confrontation avec le système peuvent éventuellement donner naissance à d’autres problèmes lorsque les acteurs se saisissent de ces résultats pour pointer des inadéquations entre l’objet physique et l’objet intermédiaire définissant les attentes. L’objet matériel est la base de nouvelles représentations et une nouvelle boucle débute.

Les boucles de développement font que l’objet technique est soumis à deux types de liens entre technique et social. La construction de l’objet intermédiaire à partir de représentation de l’objet peut mieux être décrit par les outils de l’approche co-constructiviste puisque des logiques techniques et sociales se mêlent sans qu’il soit possible de les distinguer. A l’inverse, pour décrire la matérialisation de l’objet, l’approche de la co-influence est la plus adaptée. Les logiques sociales se confrontent aux contraintes propres au domaine physique et aux systèmes techniques entraînant une interaction entre les domaines technique et social.