Deuxième chapitre. La fabrication du moteur dCi 11 : la matérialisation, l’objet physique comme finalité de l’action technique

La deuxième étape de la carrière du moteur dCi 11 que nous présenterons est la fabrication. Par rapport à notre problématique, l’étude de l’innovation du moteur avait permis de concevoir un schéma général des relations entre les différentes formes de l’objet qui prenait la forme d’une boucle. Les processus liés à la création des représentations de l'objet et des objets intermédiaires ont été analysés avec les outils de l’approche de la co-construction. A l’inverse, le processus de matérialisation de l’objet physique a été expliqué selon l’approche de la co-influence. L’étude de la fabrication du moteur nous permettra d’affiner la configuration en ce qui concerne le phénomène de matérialisation, c’est-à-dire le passage d’un objet intermédiaire à un objet matériel.

La fabrication n’est pas toujours la deuxième étape de la carrière d’un objet technique. En effet, chez Renault Trucks et Dongfeng Limited, la fabrication d’une pièce n’est généralement engagée qu’une fois qu’un acheteur a passé une commande. Ce client peut être un client final ou une concession. Le moteur est donc souvent vendu avant d’être fabriqué. Si nous avons placé la partie dédiée à la fabrication du moteur avant celle dédiée à la vente, c’est pour souligner les liens entre cette étape et l’innovation. En effet, aussi bien en France qu’en Chine, la carrière du moteur est passée par une série de boucles de développement qui influencent la fabrication de prototypes plus ou moins avancés.

Dans cette partie, nous commencerons par présenter successivement la carrière de l’objet dans les deux pays. Pour chaque pays, dans une première sous partie, nous exposerons le contexte de la fabrication en insistant sur l’organisation de la production et l’histoire de la conception de la chaîne. Cette partie nous permettra de faire le lien avec la présentation de l’étape de l’invention. En effet, nous avons vu dans le chapitre précédent que les tests sur les moteurs permettaient de vérifier la qualité du design des composants mais également les processus de fabrication. Un défaut de qualité peut souvent être résolu indistinctement par un changement de conception d’un composant ou de procédé de production. Cette partie nous permettra de présenter, en France et en Chine, ce deuxième aspect en montrant l’influence du processus d’innovation sur les processus de fabrication. Pour chaque pays, une deuxième sous partie sera consacrée à la carrière de l’objet pendant la fabrication. Le moteur étant composé d’une multitude de pièces, nous ne pourrons pas présenter le processus de production de l’ensemble du moteur. Nous prendrons principalement l’exemple du montage du moteur qui est l’étape finale de la production et la seule réalisée par les deux constructeurs au moment où nous avons réalisé notre enquête. En outre, le montage est l’étape clé du processus de fabrication du moteur. Comme le montre G. Rot214, dans le travail, certains actes sont structurants parce qu’ils participent de manière décisive à la finalisation du produit. En ce sens, ces actes condensent les enjeux des étapes menées auparavant. La personne qui réalise ces actes clés devient « l’auteur » du produit, c’est-à-dire que sa responsabilité est engagée. Cependant, ces actes ne constituent que « la partie émergente de l’iceberg » et il est important de souligner également leur imbrication avec les autres activités et le sens qu’elles prennent ensemble. Aussi, si nous nous concentrerons essentiellement sur le montage, nous présenterons également l’ensemble des opérations en amont et en aval qui rendent le montage possible. Le choix du montage résulte aussi d’une question d’accès, la plupart des fournisseurs de Renault Trucks étant réticents à l’idée d’accueillir un sociologue qui travaille avec un groupe chinois ayant acheté la licence du moteur, par peur de voir leurs procédés copiés. Après avoir présenté séparément la carrière du moteur dans les deux pays, nous construirons dans une troisième partie un modèle d’analyse des interactions entre objets techniques et social dans les processus de production de cet objet.

Notes
214.

ROT G., « Réaliser un produit, les détours d’un accomplissement concret », in BIDET A. (dir.), Sociologie du travail et activité, Ed. Octarès, Toulouse, 2006.