2. Généralisation sur la carrière de l’objet technique pendant la fabrication : la matérialisation de l’objet physique

En ce qui concerne notre problématique, l’étape d’innovation avait permis de concevoir le schéma général de la relation entre les différentes formes de l’objet. Cette étape nous a permis de travailler sur le processus de matérialisation. Si elle ne se limite pas à la matérialisation, la fabrication est centrée sur cet aspect. Elle nous permet de développer la configuration relative au passage d’un objet intermédiaire à un objet matériel. Le schéma ci-dessous (Cf. Figure 19 Configuration des relations entre les différentes formes de l’objet technique pendant la fabrication) reprend les résultats de cette étude. L’objet intermédiaire construit pendant la phase d’invention est traduit dans une logique de fabrication. Cette traduction implique des logiques sociales (notamment les objectifs en terme de qualité et un jugement sur le travail des opérateurs). Cet objet traduit est constitué en partie par des procédures. Il peut également être inscrit dans les équipements (dispositifs automatiques ou semi automatiques de la chaîne ainsi que dans les instances de contrôle : les détrompeurs). Les opérateurs et leur encadrement créent une représentation de l’objet technique à partir de ces procédures et des équipements. Leur représentation n’est pas identique à l’objet intermédiaire. Elle se différencie en incluant les enjeux propres à la fabrication : la nécessité de faire avancer la chaîne. Ces représentations se stabilisent sous la forme d’un second objet intermédiaire accepté au moins par les opérateurs et leur encadrement direct. Il est validé par un processus similaire aux boucles de développement. Des représentations de l'objet différentes sont testées et lorsque aucun défaut n’est constaté sur les objets matériels, ils sont considérés comme validés et deviennent la définition de l’objet acceptée au sein de l’atelier.

En France comme en Chine, l’objet technique, pendant sa fabrication, impose deux types de contraintes : directes et indirectes. Les premières sont liées à ses caractéristiques techniques et physiques. Mais la majorité des contraintes de production proviennent de la mise en place d’un objet intermédiaire de définition du moteur qui est traduit dans un langage propre à la fabrication. Il s’agit alors d’une anticipation des contraintes techniques et physiques de l’objet. Elles sont indirectes et si elles reposent sur des contraintes techniques ou physiques de l’objet, elles intègrent également des logiques sociales. En ce qui concerne les contraintes indirectes liées à une représentation de l'objet, ce sont les acteurs qui se les imposent à eux-mêmes. A partir de leur représentation, les acteurs mettent en placent des actions techniques spécifiques. En ce qui concerne les objets intermédiaires, les contraintes indirectes se déclinent sous deux formes. Les premières sont immatérielles. L’objet intermédiaire est traduit sous la forme de procédures. Leur pouvoir contraignant ne repose pas sur la matérialité de l’objet produit mais sur le pouvoir du réseau qui a constitué l’objet intermédiaire vis-à-vis de ceux qui réalisent l’action technique. Mais les contraintes indirectes peuvent également être matérialisées, c’est-à-dire inscrites dans des machines automatiques ou des dispositifs de contrôle. Ces contraintes ne sont pas non plus sans faille, nous avons vu que les opérateurs de Renault Trucks étaient des experts en ce qui concerne leur détournement pour faire avancer la chaîne. Néanmoins, ces modifications doivent tenir compte de la matérialité de la contrainte et reposent sur des actions ou des dispositifs techniques.

Il existe donc un ordre de contrainte spécifique à l’objet technique lié à son appartenance au domaine physique et au système technique. Ces dernières sont souvent anticipées et incluses dans des représentations de l'objet ou des objets intermédiaires qui guident l’action technique. Néanmoins, elles sont au moins partiellement indépendantes de la construction sociale qui en est faite dans ces définitions de l’objet. En ce qui concerne l’objet matériel et le processus de matérialisation, l’approche de la co-influence est donc adaptée pour décrire le rôle des objets techniques dans l’action. Néanmoins, les outils de l’approche co-constructiviste doivent être employés pour comprendre comment ces contraintes sont adaptées et parfois même détournées en fonction de logiques sociales.